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Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/431

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Le service s’accomplit par une libation qu’il fait, avec le vase sacré, d’une eau puisée à la source du sanctuaire. Les religieux alors saluent des chants accoutumés la première heure du jour et le retour de la lumière. En ce moment, arrivent de mon pays les serviteurs que j’y avais laissés, lorsque la fatale méprise de Photis m’avait mis dans ce cruel embarras ; j’eus bientôt reconnu mes gens, aussi bien que mon cheval, qu’ils me ramenaient. La bête avait passé dans plusieurs mains ; mais on avait pu la réclamer, grâce à certaine marque qu’elle avait sur le dos. Et c’est ici que j’admirai avec quelle précision se vérifiait mon rêve, comme l’envoi promis se trouvait réalisé, et surtout comme l’annonce d’un serviteur, nommé Candide, concordait avec le retour de mon cheval, dont, en effet, le poil était blanc (candidus).

Cette circonstance ne pouvait que stimuler mon zèle. Je redoublai d’activité dans mes pieux exercices. La faveur récente était le gage des bienfaits à venir. Je sentais de jour en jour s’augmenter mon désir d’être revêtu du caractère sacré. Sans cesse j’assiégeais le grand prêtre de mes prières, pour obtenir d’être enfin initié aux mystères de la nuit sainte. Mais ce grave personnage, d’une rigidité d’observance devenue presque proverbiale, temporisait avec mon impatience, toujours de ce ton de douceur et de bienveillance qu’un père sait opposer à la fougue inconsidérée de son fils ; et toujours il me flattait de l’espoir d’une satisfaction prochaine. Il fallait, disait-il, que la déesse indiquât elle-même le jour de mon initiation, qu’elle désignât le prêtre qui me consacrerait : sa prévoyance allait même jusqu’à régler la dépense de la cérémonie par les instructions les plus précises.

C’étaient là des préliminaires indispensables, auxquels, selon lui, force était de me soumettre. Il fallait me défendre de toute précipitation comme de tout esprit de résistance ; me garder avec le même soin de devancer l’ordre et de ne pas répondre à l’appel. Aucun des prêtres, d’ailleurs, ne pousserait la démence, le mépris de sa propre vie, jusqu’à s’ingérer, sans ordre formel de la déesse, dans le ministère de consécration. Il y allait de la peine du sacrilège. La déesse tenait de la même main les clefs de l’enfer et celles des portes du salut. L’initiation était une sorte de mort volontaire, avec une autre vie en expectative. La déesse prenait le temps où l’on se trouve placé à l’extrême limite de la vie temporelle, pour exiger du néophyte la garantie du secret inviolable ; c’est alors que, par une sorte de renaissance providentielle, s’ouvre pour lui une existence de béatitude. Quelque claire et manifeste que fût la vocation d’en haut qui m’appelait au saint ministère, il fallait donc attendre que l’ordre actuel m’en fût intimé. Je devais toutefois, à l’exemple des initiés, préalablement m’abstenir des aliments profanes et défendus. L’accès n’en serait pour moi que plus facile aux saints mystères de la plus pure de toutes les religions. Ainsi parla le grand prêtre ; et ma soumission triompha de mon impatience. Je me montrai calme, résigné, rigoureux observateur du silence, et ne manquai pas un seul jour d’assister à la célébration des offices divins.