Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/430

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mule grecque : Que le peuple se retire ! parole qui voulait dire que le sacrifice était agréé, comme le témoigna l’acclamation qui la suivit. Et tous, dans un transport d’allégresse, apportant des rameaux d’olivier fleuri, des branches de verveine et des guirlandes, les déposent devant la statue d’argent élevée à la déesse sur une estrade, et se retirent chez eux après lui avoir baisé les pieds. Quant à moi, je n’avais garde de m’éloigner d’un seul pas ; je demeurais les yeux fixés sur la déesse, réfléchissant à mes infortunes passées.

Les ailes de la Renommée, pendant ce temps, ne s’étaient pas engourdies. Partout dans mon pays elle avait publié l’adorable bienfait de la déesse, et mes surprenantes aventures. Mes amis, mes domestiques, tout ce qui tenait à moi par les liens du sang, dépose le deuil que le faux bruit de ma mort avait fait prendre, et, changeant soudain la douleur en joie, accourt, les mains pleines de présents, pour s’assurer par ses propres yeux si j’étais en effet retrouvé, et vraiment revenu des enfers. J’avais désespéré de les revoir jamais. Leur vue me fit un bien inexprimable. J’acceptai avec reconnaissance ce qui m’était si obligeamment offert. Grâce à la prévoyance des miens, je voyais mon entretien et ma dépense largement assurés.

Après avoir dit à chacun ce qu’il convenait de lui dire, fait le récit de mes infortunes passées et le tableau de ma félicité présente, je retournai avec un redoublememt de gratitude à la contemplation de ma divine protectrice. Je louai un logement dans l’enceinte de l’édifice sacré, et j’y établis provisoirement mes pénates. Je ne manquais à la célébration d’aucun des rites intimes ; je ne quittais pas la société des prêtres, et, toujours en adoration, je ne me séparais pas un seul moment de la grande divinité. Il ne m’arriva point de passer une seule nuit, ni de m’abandonner au repos, sans avoir une apparition et sans entendre la voix de la déesse. Sa volonté m’avait depuis longtemps destiné au service des autels, et ses commandements réitérés me prescrivaient de me présenter à l’initiation. Ma vocation n’était pas douteuse ; mais un scrupule m’arrêtait. J’avais sérieusement réfléchi aux exigences du saint ministère. Le vœu de chasteté n’est pas d’une observation facile. Quelle attention ne faut-il pas sur soi-même, au milieu des tentations dont la vie est entourée ! Voilà ce que je considérais, et, malgré ma ferveur, j’ajournais indéfiniment l’accomplissement de mon vœu.

Une nuit je crus voir le grand prêtre venir à moi, un pan de sa robe relevé et rempli. Comme je lui demandai ce qu’il portait là, il me répondit que c’était un envoi de Thessalie à mon adresse ; et, de plus, qu’un mien serviteur, nommé Candide, venait d’arriver. À mon réveil, je repassais le songe dans mon esprit, fort en peine d’en deviner le sens ; car j’étais bien sûr de n’avoir jamais eu personne du nom de Candide à mon service. En tout cas, je ne pouvais me promettre que profit d’un rêve où l’on m’apportait quelque chose. Je guettais donc avec impatience, et dans l’attente d’un bonheur ignoré, le moment où s’ouvriraient les portes du temple. Enfin, les blancs rideaux sont tirés de droite et de gauche ; la vénérable déesse se montre, et nous nous prosternons. Le grand prêtre va d’autel en autel accomplir les rites, et prononce les solennelles oraisons.