Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/435

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chaise, et m’intima l’ordre de préparer un grand festin religieux. Une particularité de sa personne pouvait servir à la faire connaître. Son talon gauche était un peu rentré, ce qui le faisait légèrement boiter en marchant.

Dès lors plus d’obscurité. La volonté divine devenait manifeste. Aussi, après avoir offert ma prière du matin à la déesse, je passai avec soin tous les prêtres en revue, cherchant des yeux celui dont la démarche concordait avec mon rêve ; et je ne fus pas longtemps à le trouver, car l’un des Pastophores, outre la conformité du pied boiteux, rappelait exactement ma vision pour la taille et la tournure. Je sus depuis qu’il s’appelait Asinius Marcellus ; rapprochement assez bizarre avec ma métamorphose. Je l’abordai sans délai, et le trouvai tout préparé à ce que j’avais à lui dire ; car il avait eu de son côté une communication coïncidant avec la mienne, et s’était vu désigné d’en haut pour le ministère de consécration. Il avait effectivement rêvé la nuit précédente qu’au moment où sa main posait des couronnes sur la tête du grand Osiris, la voix prophétique du dieu s’était fait entendre, lui annonçant l’arrivée d’un homme de Madaure qui était fort pauvre, et devait être admis, sans délai, à l’initiation ; qu’il en reviendrait grand honneur au zélé néophyte et grand profit à son consécrateur.

Je me trouvais donc dévolu aux saintes épreuves, et ma pauvreté seule y formait empêchement, car les frais de mon voyage avaient réduit presque à rien mon mince patrimoine ; et la vie de Rome était bien autrement dispendieuse que celle de ma province. Ma position était des plus cruelles. Je me voyais placé, à la lettre, entre l’enclume et le marteau. Le dieu ne cessait de me presser. Plusieurs fois sa voix m’invita, non sans me causer un trouble extrême. Enfin, l’invitation devint commandement. Je me décidai donc à me défaire de ma garde-robe ; et, quelque chétive qu’elle fût, j’en tirai la somme qu’il me fallait. En cela j’obéissais à une injonction spéciale. Eh quoi ! me dit le dieu, pour te procurer un plaisir tu ne regarderais pas à la possession de quelques hardes, et tu hésites devant les exigences d’une cérémonie sainte ! tu redoutes une pauvreté dont tu ne peux avoir à te repentir !

Tout étant disposé, je m’abstins encore dix jours entiers de nourriture animale. De plus, je me fis admettre aux nocturnes orgies du grand Sérapis. Les deux religions sont sœurs. Instruit dans l’une, j’abordai avec plus de confiance mon noviciat dans l’autre, dont je devins bientôt l’observateur le plus assidu. Je trouvais dans ma ferveur un charme qui me consolait de mon isolement en terre étrangère. Cette ferveur devint même la source d’un moyen d’existence. En effet, pourquoi n’attribuerais-je pas à une grâce d’en haut la bonne fortune que j’eus d’être chargé de plaider en latin quelques causes dont les profits, bien que légers, suffirent pour me faire subsister ?

Quelques jours se passent ; et voilà qu’une autre sommation divine m’arrive à l’improviste, avec des circonstances tout à fait surnaturelles. Je suis appelé à une troisième initiation. L’avertissement cette fois me jeta dans une vive inquiétude. Je n’y pouvais rien comprendre, et me perdais dans mes suppositions ? Devais-je donc être indéfiniment l’objet de cette céleste insistance ? Après une première et une seconde initia-