Aller au contenu

Page:Pétrone - Satyricon, trad. Héguin de Guerle, 1861.djvu/18

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui fut propre, la manière dont il mourut, rien n’est oublié : ils connaissent Pétrone comme s’ils eussent été ses contemporains, ses compatriotes, ses amis. Et tout cela se trouve, selon eux, dans une page de Tacite ! Il s’agit ici d’un passage des Annales[1], relatif à la mort du consul Pétrone. « C’était, dit Tacite, un courtisan voluptueux, passant avec aisance des plaisirs aux affaires, et des affaires aux plaisirs. Habitué à donner le jour au sommeil, il partageait la nuit entre ses devoirs, la table et ses maîtresses. Idole d’une cour corrompue, qu’il charmait par son esprit, ses grâces et ses dépenses, il y fut longtemps l’arbitre du goût, le modèle du bon ton, le favori du prince. Mais enfin, supplanté par Tigellin son rival, il prévint, par une mort volontaire, la cruauté de Néron. Fidèle épicurien, même à son dernier soupir, il regardait en souriant la vie s’échapper avec son sang de ses veines entr’ouvertes. Quelquefois il les faisait fermer un instant, pour s’entretenir quelques minutes de plus avec ses amis, non de l’immortalité de l’âme ou des opinions des philosophes, mais de poésies badines, de vers légers et galants. Loin d’imiter ces lâches victimes du tyran, qui baisaient en mourant la main de leur bourreau, et léguaient leurs biens à leur avare assassin, il s’amusa dans ses derniers moments à tracer un récit abrégé des débauches de Néron ; il le peignit outrageant à la fois la pudeur et la nature dans les bras de ses mignons et de ses prostituées. Après avoir adressé à Néron lui-même ce testament accusateur, scellé de l’anneau consulaire, il se laissa tranquillement expirer, et sembla s’endormir d’une mort naturelle. »

  1. Tacite, Annales, liv. XVI, ch. 14 et 18.