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Page:Pétrone - Satyricon, trad. Héguin de Guerle, 1861.djvu/181

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garde. Pendant ces transports furieux, le malheureux enfant embrassait nos genoux, et, baigné de larmes, nous suppliait de ne pas faire de cette méchante auberge le théâtre d’une nouvelle Thébaïde, de ne pas souiller du sang d’un frère nos mains qu’unissait naguère la plus tendre intimité. — Oui, s’écria-t-il, si la mort d’un de nous est nécessaire, voici ma gorge, frappez, plongez-y vos épées ; c’est à moi de mourir, à moi qui ai brisé les liens de votre amitié mutuelle. — Désarmés par ces prières, nous remîmes nos épées dans le fourreau. Ascylte, prenant alors l’initiative : — J’ai trouvé, dit-il, un expédient pour nous mettre d’accord. Que Giton soit à celui qu’il préférera ; laissons-le, du moins, choisir librement celui de nous deux qu’il veut pour son frère. — Plein de confiance dans l’ancienneté de mes liaisons avec cet enfant, qui semblaient m’unir à lui par une sorte de parenté, j’acceptai avec empressement le parti qu’Ascylte me proposait, et je m’en rapportai au jugement de Giton ; mais lui, sans balancer, sans paraître hésiter un seul instant, choisit Ascylte pour son frère. Foudroyé par cet arrêt, je n’eus pas même l’idée de disputer Giton par la voie des armes, et, tombant sur mon lit, je me serais donné la mort, si je n’eusse craint d’augmenter le triomphe de mon rival. Fier du succès, Ascylte sort avec le trophée de sa victoire, laissant un ancien camarade, le compagnon de sa bonne comme de sa mauvaise fortune, qu’hier encore il appelait son ami, seul et sans secours dans un pays étranger.