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Page:Pétrone - Satyricon, trad. Héguin de Guerle, 1861.djvu/246

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triste des nuits. Le lendemain, tandis que nous tenions conseil pour savoir vers quelle contrée nous tournerions nos pas, je vis tout à coup flotter sur l’eau un corps humain que les vagues portaient vers le rivage. À cet aspect, profondément ému et les yeux humides, je m’arrêtai et je réfléchis aux dangers de confier à l’Océan son existence. Hélas ! m’écriai-je, peut-être en ce moment une épouse, tranquille sur le sort de ce malheureux, l’attend dans quelque contrée lointaine ! peut-être a-t-il laissé un fils qui ignore son naufrage, ou un père qui, à son départ, reçut ses derniers baisers ! Voilà donc où aboutissent les projets des mortels ! voilà le résultat de leurs désirs ambitieux ! l’infortuné ! il semble encore nager comme s’il était vivant ! — Jusqu’alors je croyais m’attendrir sur le sort d’un inconnu, quand les flots, déposant le cadavre sur le rivage, me montrèrent ses traits qui n’étaient point défigurés par la mort. O surprise ! c’était ce Lycas, naguère encore si terrible, si implacable, que je voyais étendu à mes pieds ! Je ne pus retenir mes larmes, et, me frappant la poitrine à coups redoublés : — Que sont devenus, disais-je, ce courroux, ces transports que rien ne pouvait calmer ? Te voilà exposé en proie aux poissons et aux bêtes féroces, toi qui, il n’y a qu’un instant, te montrais si fier de ton pouvoir ! de tout ce grand vaisseau que tu possédais, il ne t’est pas même resté une planche pour te sauver du naufrage ! Allez maintenant, mortels insensés, le cœur gonflé de projets ambitieux ! fiez-vous à l’avenir, et préparez-vous à jouir pendant des milliers d’années de vos richesses acquises par la