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Page:Pétrone - Satyricon, trad. Héguin de Guerle, 1861.djvu/406

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Quant à moi, je voudrais ne mourir que ridée.
Voulez-vous emporter vos appas chez les morts ?
Que vous servira-t-il d’en être regardée ?
____Tantôt, en voyant les trésors
Dont le ciel prit plaisir d’orner votre visage,
____Je disais : Hélas ! c’est dommage,
Nous-mêmes nous allons enterrer tout cela.
— À ce discours flatteur la dame s’éveilla.
Le dieu qui fait aimer prit son temps ; il tira
Deux traits de son carquois : de l’un il entama
Le soldat jusqu’au vif ; l’autre effleura la dame.
Jeune et belle, elle avait sous ses pleurs de l’éclat ;
____Et des gens de goût délicat
Auraient bien pu l’aimer, et même étant leur femme.
Le garde en fut épris : les pleurs et la pitié,
____Sorte d’amour ayant ses charmes,
Tout y fit : une belle, alors qu’elle est en larmes,
____En est plus belle de moitié.
Voilà donc notre veuve écoutant la louange,
Poison qui de l’amour est le premier degré ;
____La voilà qui trouve à son gré
Celui qui le lui donne. Il fait tant qu’elle mange ;
Il fait tant que de plaire, et se rend en effet
Plus digne d’être aimé que le mort le mieux fait ;
____Il fait tant enfin qu’elle change ;
Et toujours par degrés, comme l’on peut penser,
De l’un à l’autre il fait cette femme passer.
____Je ne le trouve pas étrange :
Elle écoute un amant, elle en fait un mari,
Le tout au nez du mort qu’elle avait tant chéri.
Pendant cet hyménée, un voleur se hasarde
D’enlever le dépôt commis aux soins du garde :
Il en entend le bruit, il y court à grands pas ;
____Mais en vain : la chose était faite.
Il revient au tombeau conter son embarras,
____Ne sachant où trouver retraite.
L’esclave alors lui dit, le voyant éperdu :
____— L’on vous a pris votre pendu ?
Les lois ne vous feront, dites-vous, nulle grâce ?
Si madame y consent, j’y remédierai bien.
____Mettons notre mort en sa place,
____Les passants n’y connaîtront rien.
— La dame y consentit. O volages femelles !
La femme est toujours femme. Il en est qui sont belles ;
____Il en est qui ne le sont pas :
____S’il en était d’assez fidèles,
____Elles auraient assez d’appas.

Prudes, vous vous devez défier de vos forces :
Ne vous vantez de rien. Si votre intention
____Est de résister aux amorces,
La nôtre est bonne aussi, mais l’exécution
Nous trompe également ; témoin cette matrone.
____Et, n’en déplaise au bon Pétrone,