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enfiévré comme je l’étais, je sentais descendre ce liquide dans la fournaise de mon estomac, serait difficile. Ceux-là seulement peuvent le comprendre qui ont expérimenté la fièvre et la soif alors qu’ils n’avaient pas d’eau potable à leur disposition, — ce qui était le cas le plus fréquent pendant les chaleurs de la seconde pêche. Nous n’avions pas de ces caisses en fer dont les longs-courriers sont munis, et grâce auxquelles ils peuvent toujours conserver fraîche leur eau douce ; nous n’avions que des pièces en bois dans lesquelles la nôtre se putréfiait très vite aux approches de la chaleur.

Pour moi comme pour tous, le moment le plus pénible était celui du lever. Échauffé par le travail ou par les boissons, on se traîne encore. Mais reprendre son chemin de croix après un court sommeil, pendant lequel vous n’avez guère eu le temps que de vous dégriser et tout au plus de rafraîchir votre capacité de souffrir : cela est horrible. À ce moment-là, j’ai vu de vieux matelots pleurer de misère. De leurs mains toutes déchirées, toutes pantelantes, ils ne pouvaient même pas arriver à se boutonner. Leur premier fait, arrivant sur le pont, était de les plonger dans l’eau pour en calmer la fièvre. Malheur à ceux qui s’embarquent là dedans, et dont le sang n’est pas pur ! La moindre écorchure, la moindre piqûre devient une plaie qui s’élargit sans cesse et s’approfondit jusqu’aux os. Et comme on se pique tous les jours, les mains finissent par passer tout au vif comme des entrailles fraîchement arrachées. Il arrive que le capitaine mette du vin sucré