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FREYSCHÜTZ

ACTE DEUXIÈME


Chambre dans la maison du garde-chasse : ramures de cerf, tapisseries sombres, un portrait. Quelques tableaux donnent à cette demeure l’apparence d’un vieux bâtiment, et indiquent un château de chasse autrefois l’habitation du prince. Au milieu, au fond, une porte-fenêtre avec des rideaux, ouvrant sur un balcon au dehors (praticable). D’un côté, le rouet d’Annette ; de l’autre une grande table où brûle une lampe, et sur laquelle est étendue une robe blanche avec des rubans verts. Des fleurs dans un vase. Deux entrées.



Scène Première

ANNETTE, AGATHE


(Annette est sur une échelle et suspend le portrait d’un aïeul de Kouno. Elle frappe avec un marteau sur un clou. — Agathe, en négligé, s’attache un bandeau.)

DUO
annette, sur l’échelle, clouant le portrait.

Ça ! tiens bien ! c’est là ta place ;
Des lutins quelle est l’audace !
Ces vieux nids
En sont remplis.

agathe

Ah ! respecte cette image !

annette

Moi, je rends honneur
Au bon vieux seigneur.

(Elle frappe sur le clou.)

Mais qu’on soit docile et sage,
Car déjà j’enrage.

annette

Quel langage !
Que dis-tu ?

ENSEMBLE
annette

Tu l’ignores ? Vois ce traître !
Doit-il pas porter son maître ?

(Elle frappe encore sur le clou.)

Clou maudit, sois donc battu ?
Par mes soins mieux suspendu,
Vois-tu,
Hommage ici lui soit rendu.

agathe

Très-bien ! à mon aïeul, vois-tu,
Hommage ici sois donc rendu !

(Annette descend de l’échelle et la met de côté.)
agathe, seule.

Tout a pour toi des charmes,
Et jamais de sombre langueur.
Que d’alarmes
Dans mon cœur ! (Bis.)

annette

Les soucis et la tristesse
De moi n’approchent pas,
Plaisirs, joyeux ébats,
Suivent toujours mes pas.
Jamais de pleurs, rire sans cesse,
Chasser l’ennui quand il me presse ;
Tel est mon seul soin ici-bas.

agathe

 :Ah ! quel vague effroi m’oppresse !
Et mon cœur gémit tout bas…
Bien-aimé ! de ma tendresse
Tous les vœux suivent tes pas.

RÉCITATIF
annette, considérant le portrait.

 « Ton brave aïeul ainsi restera, je suis sure,
Cent ans encor… Et ta blessure ?

agathe

 :Ce n’était rien… la peur, l’étonnement…
Et Max… que fait-il donc ?

annette

Et Max… que fait-il donc ? Sans doute,
Il n’est pas bien loin sur la route ;
Monsieur Kouno m’a dit qu’il viendrait promptement.

annette

Autour de ce lieu solitaire
Tout est silencieux ; je ne sais quel mystère
Semble planer ici

agathe

Ah ! quand le jour de noce arrive,
Il est triste vraiment d’être seules ainsi,
Au fond d’un vieux manoir, et sans âme qui vive.
Ah ! si les maîtres d’autrefois,
Ranimés tout à coup, sortaient de ces parois…

agathe

Enfant !

annette

Enfant ! Mais sans être craintive,
Je t’avoûrai que j’aime mieux
Les vivants que les morts, les jeunes que les vieux

RONDE

Qu’un garçon jeune et candide,
Au teint frais, aux blonds cheveux,
Passe auprès de moi, timide,
Faut-il donc baisser les yeux ?
On sait bien en fille sage,
Se donner un air discret,
On regarde son corsage,
Et pourtant, dès qu’il paraît,
En secret
Sur son passage
On voit tout d’un œil sournois
En tapinois.
Si l’œillade qui succède
Est surprise tout à coup,
Devient-on aveugle ou laide ?
On rougit et voilà tout.
Doux langage
Qui s’engage
Du regard
Comme au hasard !