Page:Pages choisies des auteurs contemporains Tolstoï.djvu/149

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

vrai, on n’entend pas les chiens, ils n’aboient jamais quand il le faut. »

Il rabattit son col et se mit à écouter et regarder. Il n’apercevait que la silhouette confuse de Moukhorty, avec la toile qui flottait au vent. Il n’entendait que le piaulement de la tempête, les claquements du foulard contre le brancard, le froissement de la neige contre la capote. Il s’enveloppa de nouveau.

« J’aurais mieux fait de rester à Grichkino chez le vieux Tarass. Enfin, nous arriverons bien demain, il n’y aura qu’une nuit de perdue. Par un temps pareil, les autres ne voyageront pas non plus, et j’aurai toujours une avance sur eux. »

Il se rappela que le lendemain, il devait recevoir du boucher le prix des moutons qu’il lui avait vendus.

« Il a promis de venir lui-même. Il ne me trouvera pas chez moi, et ma femme ne saura pas se faire payer. Elle est si niaise ! Et pas le moindre usage. Ainsi, comment a-t-elle reçu l’ispravnik, qui a tenu à me rendre visite hier à l’occasion de la fête !

« Il est vrai, où aurait-elle pu s’éduquer ? Pas chez ses parents, toujours. Le père, un simple petit villageois, pas plus : un méchant moulin et une auberge, voilà tout ce qu’il avait. Tandis que moi, que n’ai-je pas fait en quinze ans ! Un magasin d’épicerie et un de blé, deux débits de boisson, un moulin, deux métairies en fermage, une maison avec une grange en fer, énumérait-il en extase. Qui connaît-on aujourd’hui dans tout le district ? Brekhounov, moi !

« Et pourquoi ? Parce que je m’applique à mes affaires au lieu de me laisser aller, comme tant d’autres, à dormir ou m’occuper de sottises. Est-ce que je dors, moi ! Qu’il vente, qu’il neige, comme à