Page:Pages choisies des auteurs contemporains Tolstoï.djvu/152

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

allait croissant d’instant en instant, et où il s’ingéniait à ne voir que le regret de n’avoir pas couché à Grichkino. Il avait beau se tourner et retourner à la recherche d’une position plus commode et mieux garantie du chasse-neige, il était de moins en moins à l’aise. Les jambes, immobiles dans les grandes bottes, commençaient à lui faire, à force d’engourdissement, un mal insupportable. Et puis le vent n’était jamais en peine de découvrir par où s’insinuer quand même.

Un moment il crut entendre un chant de coq dans le lointain. Il se dégagea du col de sa pelisse et prêta l’oreille, mais il ne perçut plus que le rugissement de la tourmente et les coups de fouet des paquets de neige qui s’abattaient sur la capote.

Nikita, lui, demeurait comme figé. Andréitch l’appela à deux reprises, sans que le bonhomme tressaillît seulement.

« Parbleu, il dort sans souci de rien… Cette nuit ne finira jamais ! Le matin doit pourtant être proche maintenant. Si je regardais l’heure ? Non, ma foi, il fait trop froid pour que j’ouvre ma pelisse… Cependant, si je savais que nous n’avons plus longtemps à attendre l’aube, je serais un peu tranquillisé et nous nous mettrions toujours à atteler. »

Au fond, il savait parfaitement que la nuit n’était pas si avancée, et s’il hésitait à regarder l’heure, c’était qu’il avait peur de la connaître. Il ne tarda pas néanmoins à céder à la tentation, et entr’ouvrant sa pelisse de dessus et dégrafant celle de dessous juste assez pour pouvoir insinuer sa main, il chercha sa montre. Ayant non sans peine retiré celle-ci, qui était d’argent avec des fleurs d’émail bleu, il se colla contre le fond de la capote, choisit des doigts une allumette garnie