Page:Pages choisies des auteurs contemporains Tolstoï.djvu/151

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vent, tremblait de tout son corps. La toile, couverte de neige, s’était relevée d’un côté et l’avaloire avait glissé. Puis Vassili Andréitch se pencha et jeta un coup d’œil derrière la capote. Nikita n’avait pas bougé. La toile dont il s’était enveloppé, ainsi que ses jambes, disparaissaient sous une épaisse couche de neige.

« Pourvu que le moujik ne meure pas gelé ! Ses vêtements ne sont guère chauds. Et puis il est si exténué. Avec ça qu’il n’a pas le coffre trop solide… Je serais encore responsable de sa mort. »

Il eut l’idée d’enlever la toile du cheval pour la mettre sur Nikita. Mais décidément il faisait trop froid pour sortir du traîneau. Et puis Moukhorty en eût souffert, et c’était une bête qui avait coûté gros.

« Pourquoi ai-je écouté ma femme et emmené ce bonhomme ! »

Et il se laissa retomber dans le coin du traîneau.

« Une fois déjà il a passé toute une nuit dans la neige, et il n’a rien eu… Il est vrai que Sévastian, lui, quand on l’a retiré, était mort, raide ainsi qu’un quartier de bœuf gelé… Ah ! que n’ai-je couché à Grichkino ! Rien n’aurait pu m’arriver. »

Et s’enveloppant avec soin de ses deux pelisses de manière à ne rien perdre de la chaleur de la fourrure et à être dans la mesure du possible protégé de la tête aux pieds, il ferma les yeux pour essayer de se rendormir. Cependant, loin de retrouver le sommeil, il se sentait de plus en plus nerveux. Il recommença à supputer les bénéfices de l’affaire entreprise, à récapituler ce qu’on lui devait de droite et de gauche, à s’extasier enfin sur la situation qu’il avait par lui-même conquise. Mais toutes ces délicieuses méditations étaient sans cesse troublées par une inquiétude qui