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Page:Pages choisies des auteurs contemporains Tolstoï.djvu/267

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chercher la clef, car je crains que Sonia ne la trouve pas. »

Mais à ce moment il me vint une grande envie de voir ce qu’il faisait, tandis qu’il croyait que personne ne pouvait le surprendre. Je courus à l’autre bout du mur, et comme il n’était pas très haut, je grimpai à l’aide des arbres sur la crête, et en m’appuyant à la branche d’un vieux cerisier je regardai à l’intérieur. Serge Mikhaïlitch, nu-tête, était assis sur un tronc d’arbre, et les yeux demi-clos, la tête inclinée, il murmurait quelque chose. J’entendis ce murmure et je tressaillis de joie : « Mâcha, ma chère Mâcha ! » Mon cœur battit avec violence, tandis qu’une émotion inconnue et presque défendue s’emparait de moi. Je chancelai comme si j’avais été ivre et poussai un léger cri ; il m’entendit, me regarda tout effaré et rouge. Cependant il sourit, et je lui rendis son sourire. Ses yeux, qui devenaient de plus en plus brillants, exprimaient une ineffable tendresse. Ce n’était plus l’oncle qui donnait des conseils, qui m’interrogeait et me grondait : c’était l’homme égal à moi qui m’aimait et qui avait peur, que j’aimais et dont j’avais peur aussi. Tout à coup son visage changea et ses yeux perdirent leur éclat. Il me regarda de nouveau paternellement en disant d’un ton froid :

« Descendez, vous allez vous faire du mal ; vos cheveux sont ébouriffés et vous avez l’air de Dieu sait quoi. »

« Pourquoi dissimule-t-il ? pourquoi veut-il me faire de la peine ? » me demandai-je avec colère. Il me vint le désir insensé de l’effrayer et d’éprouver ainsi mon pouvoir sur lui. Je sautai du mur dans le jardin avant qu’il eût eu le temps de s’élancer pour me soutenir.