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Page:Pages choisies des auteurs contemporains Tolstoï.djvu/268

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« Quelles idées folles vous prennent donc aujourd’hui ! » fît-il tout pâle d’émotion et en voulant paraître en colère. Vous pouviez vous faire bien du mal. Puis, comment sortirez-vous d’ici ? »

J’étais maintenant troublée à mon tour : je n’osais le regarder, et je me repentais de mon étourderie, croyant que par ma légèreté j’avais perdu à jamais son estime. Sonia arriva enfin avec la clef, et nous sortîmes du verger, sans nous être dit un mot de plus, et retournâmes près de Katia, qui soutint n’avoir pas dormi du tout et avoir tout entendu. Je me calmai un peu, et lui reprit de nouveau son accent et ses manières de protection affectueuse ; mais tout cela ne me trompait plus, et je me rappelais ce qu’il avait, dit un jour à Katia.

« Un homme peut avouer qu’il aime, mais une femme, cela lui est défendu, déclarait Katia.

— Moi je crois, avait-il répondu alors, qu’un homme ne peut pas et ne doit pas dire qu’il aime.

— Pourquoi ? avais-je demandé.

— Parce que toujours ce ne sera que mensonge. Il semble que lorsqu’un homme prononce cette parole solennelle, quelque chose d’extraordinaire va se passer, que des météores quelconques vont, traverser le ciel et que toutes les foudres vont gronder. À mon avis les gens qui disent « je vous aime » se trompent eux-mêmes et, ce qui est pis, ils trompent les autres.

— Mais alors comment la femme saura-t-elle qu’elle est aimée ? avait poursuivi Katia,. que cette théorie d’amour choquait dans ses idées romanesques.

— Je l’ignore ; chaque homme a ses paroles à lui. Et si ce sentiment existe, il se révélera toujours tôt ou tard.