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Page:Paléologue - Vauvenargues, 1890.djvu/67

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AMITIÉ DE VOLTAIRE.

Meaux, et l’imagination des Lettres persanes à la perfection des Lettres provinciales ; c’est que les choses ne font impression sur les hommes que selon la proportion qu’elles ont avec leur génie » ; à toutes ces marques d’une pensée originale et forte, Voltaire discerna avec une sûreté de coup d’œil qui fait honneur à sa critique le talent inconnu qui s’adressait à lui. Il prit aussitôt la plume et expédia « à Monsieur de Vauvenargues, capitaine au Régiment du Roi », une réponse fort longue : « Depuis que j’entends raisonner sur le goût, lui disait-il, je n’ai rien vu de si fin et de si approfondi que ce que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire. Il n’y avait pas quatre hommes, dans le siècle passé, qui osassent s’avouer à eux-mêmes que Corneille n’était souvent qu’un déclamateur ; vous sentez, monsieur, et vous exprimez cette vérité, en homme qui a des idées bien justes et bien lumineuses. Je ne m’étonne point qu’un esprit aussi sage et aussi fin donne la préférence à l’art de Racine, à cette sagesse toujours éloquente, toujours maîtresse du cœur, qui ne lui fait dire que ce qu’il faut, et de la manière dont il le faut ; mais, en même temps, je suis persuadé que ce même goût, qui vous a fait sentir si bien la supériorité de l’art de Racine, vous fait admirer le génie de Corneille. » Et Voltaire terminait sa lettre par ces mots qui, sous sa plume, étaient un singulier hom-