Page:Palante - La Sensibilité individualiste, Alcan, 1909.djvu/109

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Dans la Tristesse du diable, le poète exprime le découragement du lutteur :

Les monotones jours, comme une horrible pluie,
S’amassent, sans l’emplir, dans mon éternité ;
Force, orgueil, désespoir, tout n’est que vanité ;
Et la fureur me pèse et le combat m’ennuie.

Presque autant que l’amour la haine m’a menti !
J’ai bu toute la mer des larmes infécondes.
Tombez, écrasez-moi, foudres, monceaux des mondes,
Dans le sommeil sacré que je sois englouti !

Et les lâches heureux, et les races damnées,
Par l’espace éclatant qui n’a ni fond ni bord,
Entendront une voix disant : Satan est mort !
Et ce sera ta fin, œuvre des six journées !


Descendons des hauteurs de ce symbolisme. Ramené à des termes terrestres, l’individualisme est le sentiment d’une antinomie profonde, irréductible, entre l’individu et la société. L’individualiste est celui qui, par vertu de tempérament était prédisposé à ressentir d’une manière particulièrement vive les désharmonies inéluctables entre son être intime et son milieu social. C’est en même temps l’homme à qui la vie a réservé quelque occasion décisive de constater cette désharmonie. En lui, soit par la brutalité, soit par la continuité de ses expériences, s’est avéré ce fait que la société est pour l’individu une perpétuelle génératrice de contraintes, d’humiliations et de misères, une sorte de création continuée de la douleur humaine. Au nom de sa propre expérience et de sa personnelle sensation de vie, l’individualiste