Page:Palante - La Sensibilité individualiste, Alcan, 1909.djvu/125

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n’existe que pour toi, et par toi, la société au contraire te réclame comme son bien et elle peut exister sans toi. Bref, la société est sacrée et l’association est ta propriété, la société se sert de toi et tu te sers de l’association[1]. »

Distinction vaine, s’il en fut ! Où fixer la limite entre société et association ? L’association ne tend-elle pas, de l’aveu de Stirner, à se cristalliser aussitôt en société ?

De quelque façon qu’il s’y prenne, l’anarchisme est dans l’impossibilité de concilier les deux termes antinomiques : société, liberté individuelle. La société libre rêvée par lui est une contradiction dans les termes. C’est du fer en bois, c’est un bâton sans bout. Parlant des anarchistes, Nietzsche écrit : « On peut déjà lire sur tous les murs et sur toutes les tables leur mot de l’avenir : société libre. — Société libre ! Parfaitement ! Mais je pense que vous savez, messieurs, avec quoi on la construit ? — Avec du bois en fer[2]… » L’individualisme est plus net et plus franc que l’anarchisme. Il met État et société et association sur le même plan ; il les renvoie dos à dos et les jette autant que possible par-dessus bord. « Toutes les associations ont les défauts des couvents », dit Vigny.

Antisocial, l’individualisme est volontiers immoraliste. Ceci n’est pas vrai d’une façon absolue. Chez un Vigny, l’individualisme pessimiste se concilie avec un stoïcisme moral hautain, sévère et pur. Toutefois,

  1. Stirner, l’Unique, éd. Reclaire, p. 383.
  2. Nietzsche, Le Gai savoir, § 356.