Page:Palante - La Sensibilité individualiste, Alcan, 1909.djvu/57

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manie. Il y a comme une dégradation, une déchéance gnostique à replier ses ailes et à rentrer dans sa coque grossière de simple particulier[1]. »

Mais la source la plus fréquente de l’ironie est peut-être la dissociation qui s’établit dans une âme entre l’intelligence et la sensibilité. Les âmes qui sont capables d’une telle dissociation sont celles où domine une intelligence très vive, étroitement unie à la sensibilité. « Toutes les intelligences originales, dit M. Remy de Gourmont, sont ainsi faites ; elles sont l’expression, la floraison d’une physiologie. Mais, à force de vivre, on acquiert la faculté de dissocier son intelligence de sa sensibilité : cela arrive, tôt ou tard, par l’acquisition d’une faculté nouvelle, indispensable, quoique dangereuse, le scepticisme[2]. » — C’est parmi les sentimentaux que se recrutent les ironistes. Ils cherchent à se libérer de leur sentimentalisme et comme outil emploient l’ironie. Mais le sentimentalisme résiste et laisse percer le bout de l’oreille à travers l’intention ironiste. D’autres se complaisent dans leur sentimentalisme ; ils le chérissent et ne voudraient, pour rien au monde, arracher et rejeter loin d’eux la fleur délicate du sentiment. Chez ceux-là l’ironie sert de voile au sentiment. Elle est une pudeur de la passion, de la tendresse ou du regret. —

  1. Amiel, Journal intime, t. I, p. 64.
  2. Rémy de Gourmont, Promenades littéraires, p. 108. — La Sensibilité de Jules Laforgue.