Page:Palante - La Sensibilité individualiste, Alcan, 1909.djvu/59

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grégaires, et l’instinct de solitude se met à parler en vous plus haut que l’instinct social. Vous vous retranchez dans un altier stoïcisme individualiste ; vous élevez une barrière entre la société de vos semblables et vous ; vous fermez les yeux, vous bouchez les oreilles au monde social comme Descartes faisait pour le monde sensible ; vous opposez un halte-là impérieux aux suggestions ambiantes, et vous dites comme le personnage du poète : « Moi seul et c’est assez ». Mais au même moment une vague mystérieuse de sympathie humaine monte en vous, un écho d’anciennes paroles de pitié. Vous vous souvenez d’avoir, vous aussi, sucé le lait de la tendresse humaine, et un besoin de serrer une main amie, d’entendre des paroles fraternelles, vous rend amère votre solitude volontaire. — À quoi cela aboutit-il ? À un compromis assez piteux entre les deux instincts en lutte, compromis que Maupassant a bien exprimé : « Chacun de nous, sentant le vide autour de lui, le vide insondable où s’agite son cœur, où se débat sa pensée, va comme un fou, les bras ouverts, les lèvres tendues, cherchant un être à étreindre. Et il étreint à droite, à gauche, au hasard, sans savoir, sans regarder, sans comprendre, pour n’être plus seul. Il semble dire, dès qu’il a serré les mains : « Maintenant, vous m’appartenez un peu. Vous me devez quelque chose de vous, de votre vie, de votre pensée, de votre temps. » Et voilà pourquoi tant de gens croient s’aimer qui s’ignorent entièrement, tant de gens vont les mains dans les mains ou la bouche sur la bouche,