Page:Palante - La Sensibilité individualiste, Alcan, 1909.djvu/92

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Corneille exalte le triomphe du devoir, Stirner déteste cette victoire ; il injurie le vainqueur et convoque rageusement l’instinct vaincu à de nouvelles révoltes.

L’attitude de Nietzsche est voisine de celle de Stirner[1]. On retrouve chez Nietzsche le Fantôme ou le Phantasme abhorré de Stirner. « Il est des gens, nous dit l’auteur d’Aurore, qui ne font rien tout le long de leur vie pour leur Ego et n’agissent que pour le fantôme de cet Ego, qui s’est formé, d’après leur aspect superficiel, dans la tête de leur entourage et qu’ils ont ensuite accepté tout fait de la main de leurs proches, comme s’il constituait leur véritable personnalité. Ils vivent donc dans un monde singulier de phantasmes, et une analogie réunit tous ces hommes inconnus à eux-mêmes : c’est qu’ils croient à cette chose fictive et exsangue, l’homme abstrait, n’ayant jamais su opposer un Ego véritable fondé par eux-mêmes, à la pâle image de rêve qu’ils anéantiraient en se montrant ce qu’ils sont. »

  1. L’attitude de Nietzsche est pourtant moins nette que celle de Stirner. Dans la Généalogie de la morale et dans la Volonté de Puissance, au lieu de montrer la morale comme une puissance extérieure s’imposant tyranniquement à la vie, il la regarde comme la servante de la vie, comme une illusion utile que la vie elle-même crée et entretient pour son propre usage. Il est vrai que, même dans cette hypothèse, la tyrannie de la morale subsiste. Il peut y avoir antagonisme entre l’utilité vitale de l’individu et l’utilité vitale de la société ou de l’espèce. Les idéaux moraux qui servent l’utilité sociale oppriment l’individu.