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Page:Palante - Les antinomies entre l’individu et la société, Alcan, 1913.djvu/201

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l’antinomie politique

peu lui importe au fond que le groupe qui l’opprime soit une foule ou une oligarchie. Foule et oligarchie en effet se ressemblent en un point : leur commune haine de toute personnalité indépendante, de toute volonté dissidente.

Les membres de l’oligarchie dirigeante ont d’ailleurs eux-mêmes très peu d’indépendance d’esprit. Ils n’en ont guère plus au fond que les gouvernés. Ils ont eux-mêmes un conformisme ; des mots d’ordre obligatoires. Ils sont astreints à une banalité de pensée indispensable pour se faire comprendre de la masse grégaire dont ils désirent obtenir les suffrages.

La médiocrité de pensée et d’aspirations des dirigés réagit sur la médiocrité de pensée et d’aspirations des dirigeants et inversement[1]. C’est surtout en démocratie que se vérifie le mot connu : « Je suis leur chef ; il faut bien que je les suive ». De

  1. En démocratie, dit M. R. de Gourmont, l’opinion est toute-puissante parce que ceux qui ont l’air de la guider sont sur le même plan de médiocrité que ceux qui la subissent. L’opinion du public est faite par des hommes à peu près à sa hauteur qui, au moyen des journaux, s’adressent à elle en son nom sur la question du moment. Ainsi le peuple se tyrannise lui-même, en s’imposant à lui-même le respect d’opinions créées par des individus dont la banalité intellectuelle s’adapte parfaitement à la moyenne niaiserie sentimentale… On voit en démocratie le mécanisme singulier d’un navire dont l’équipage n’obéit aux officiers que parce que les officiers ont mis le cap sur le port où les matelots veulent débarquer. C’est finalement l’obéissance docile de l’élite à la masse et comme conséquence, ainsi que le dit Stuart Mill, la marche évidente et irrésistible vers un état « de similitude générale parmi les hommes ». (R. de Gourmont, Épilogues, t. I.)