Page:Palante - Précis de sociologie, 1901.djvu/150

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table et final objet du désir, donc, c’est la croyance ; la seule raison d’être des mouvements du cœur, c’est la formation des hautes certitudes ou des pleines assurances de l’esprit, et plus une société a progressé, plus on trouve en elle, comme chez un esprit mûr, de solidité et de tranquillité, de convictions fortes et de passions mortes, celles-là lentement formées et cristallisées par celles-ci. La paix sociale, la foi unanime en un même idéal ou une même illusion, unanimité qui suppose une assimilation chaque jour plus étendue et plus profonde de l’humanité : voilà le terme où courent, qu’on le veuille ou non, toutes les révolutions sociales. Tel est le progrès, c’est-à-dire l’avancement du monde social dans les voies logiques[1]. »

À notre avis, comme nous l’avons déjà expliqué plus haut, cette assimilation chaque jour plus étendue et plus profonde de l’humanité que M. Tarde pose comme la loi du Progrès ne représente qu’un aspect de l’évolution sociale. Elle a pour contrepartie la loi de Différenciation progressive, — d’individualisation de plus en plus intense et profonde des êtres humains. Il n’est pas vrai que l’humanité marche vers un idéal d’uniformité et par suite de stérilité. Il n’est pas vrai que la possession détruise le désir, que la croyance éteigne la curiosité. Pour l’humanité le mot de Lessing restera éternellement vrai : Il y a plus de plaisir à courir le lièvre qu’à l’atteindre. L’Univers ne cessera pas de solliciter l’intelligence et la sensibilité de l’homme par des aspects éternellement nouveaux. L’humanité brise sans cesse ses idéaux, et c’est toujours dans l’espoir de leur en substituer d’autres plus beaux, plus lumineux, plus harmonieux. Une civilisation prise en particulier, une religion, une doctrine morale s’immobilisera peut-être pour un temps dans cette uniformité que M. Tarde pose comme l’Idéal définitif ; — mais l’humanité prise

  1. Tarde, Les Lois de l’Imitation, p. 166.