Page:Palante - Précis de sociologie, 1901.djvu/182

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

et sans danger aucun, car les jugements des groupes jouissent de l’irresponsabilité chère à la lâcheté. La responsabilité de chaque membre du groupe est noyée dans l’impunité de la collectivité.

Tels sont les jugements de groupe, de corps, de classe, etc. Fondés sur un égoïsme étroit, sur des intérêts présents et prochains, ils sont caractérisés par le manque du sens de la vie et de la mouvance des choses. Ils sont frappés au coin du plus parfait philistinisme. La conscience individuelle peut planer au-dessus de l’intérêt social actuel ; elle a le sens dynamique de la vie et du devenir, car elle est harmonieuse et artiste comme la vie elle-même. « Que de fois j’ai constaté, écrivait Guy de Maupassant, que l’intelligence s’agrandit et s’élève dès qu’on vit seul, qu’elle s’amoindrit et s’abaisse dès qu’on se mêle de nouveau aux autres hommes ! Les contacts, tout ce qu’on dit, tout ce qu’on est forcé d’écouter, d’entendre et de répondre, agissant sur la pensée. Un flux et reflux d’idées va de tête en tête, et un niveau s’établit, une moyenne d’intelligence pour toute agglomération nombreuse d’individus. Les qualités d’initiative intellectuelle, de réflexion sage et même de pénétration de tout homme isolé disparaissent dès que cet homme est mêlé à un grand nombre d’autres hommes[1] »

La réaction du groupe ravale l’intelligence comme la moralité de l’individu. « De nombreuses réunions d’hommes, dit M. Sighele, ravalent toujours, par une loi fatale de psychologie collective, la valeur intellectuelle de la décision à prendre[2]. » Quant à la nature de l’influence morale exercée par le groupement sur l’individu, voici une observation très juste de M. Sighele : « Regardez les enfants quand ils se trouvent ensemble, ils deviennent plus méchants et plus cruels que jamais.

  1. Guy de Maupassant, Sur l’Eau.
  2. Sighele, Psychologie des Sectes, p. 201.