Page:Palante - Précis de sociologie, 1901.djvu/97

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à coups de bec. Des faits analogues se produisent dans les sociétés humaines.

Cette morale éliminatrice des faibles et des non-adaptés se montre dans toute sa naïve férocité chez les sociologues qui voudraient voir les sociétés humaines modelées sur le type des sociétés animales. Dans les livres de ces sociologues le mot élimination revient sans cesse, avec une insistance fastidieuse et un mépris tout darwinien de l’individu. Le plus typique de ces écrivains est l’auteur anonyme d’une petite brochure parue à Leipzig et intitulée : Die Aristocratie des Geistes. Cet auteur esquisse l’hypothèse d’une société fondée sur le principe d’une sélection « rationnelle » dans laquelle on éliminerait par des procédés ad hoc les individus jugés encombrants ou défavorables au progrès de la race. Des villes spéciales seraient réservées aux alcooliques et aux débauchés. Et on leur fournirait là gratuitement et en abondance ce qu’on supposerait susceptible d’amener leur prompte disparition. « Là, dit l’auteur, les temples de Bacchus et de Vénus, les maisons de jeu, les cafés-concerts, la littérature pornographique sont en pleine prospérité, les distilleries d’alcool à bon marché travailleront ferme et à perte, car les riches du parti « sélectionniste conservateur » ont décidé d’envoyer à travers le gosier des ivrognes une portion de leur superflu, dans l’intérêt de l’espèce humaine. »

On reconnaît là de suite l’aimable esprit de cette philosophie sociale suivant laquelle le Progrès n’est pas fait pour l’humanité, mais l’humanité pour le Progrès.