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DE L’ART DE TERRE.

que art en viuant honnestement, que non pas si grand nombre d’hommes, lesquels s’endommageront si fort les vns les autres, qu’ils n’auront pas moyen de viure, sinon en profanant les arts, laissants les choses à demy faites, comme l’on voit communement de tous les arts, desquels le nombre est trop grand. Toutesfois si ie pensois que tu gardasses le secret de mon art aussi precieux comme il le requiert, ie ne ferois difficulté de te l’enseigner.

Theorique.

S’il te plaist de me l’apprendre, ie te promets de le tenir aussi secret qu’homme à qui tu le pourrois enseigner.

Practique.

Ie voudrois faire beaucoup pour toy, et te voudrois auancer d’aussi bon cœur que mon propre enfant : mais ie crains qu’en te monstrant l’art de terre ce soit plutost te reculer que t’auancer. La raison est parce que tu as besoing de deux choses, sans lesquelles il est impossible de rien faire de l’art de terre. La premiere est qu’il faut que tu sois veuillant, agile, portatif et laborieux. Secondement il te faut auoir du bien, pour soustenir les pertes qui suruiennent en exerçant ledit art. Or d’autant que tu as indigence de ces choses ie te conseille de chercher quelque autre moyen de viure, qui soit plus aisé et moins hazardeux.

Theorique.

Ie cuide que ce qui te fait dire ces choses n’est pas pour pitié que tu ayes de moy : Mais c’est qu’il te fache de tenir ta promesse et de me reueler les secrets dudit art. Qu’ainsi ne soit ie sçay que quand premierement tu te mis à chercher ledit art, tu n’auois pas beaucoup de biens, pour supporter les pertes et fautes que tu dis qui peuuent suruenir au labeur dudit art.

Practique.

Tu dis vray, ie n’auois pas beaucoup de biens : Mais i’auois des moyens que tu n’as pas. Car i’auois la pourtraiture. L’on pensoit en nostre pays que ie fusse plus sçauant en l’art de peinture que ie n’estois, qui causoit que i’estois souuent appellé pour faire des figures pour les procés[1]. Or quand i’estois

  1. Les figures pour les procès n’étaient que les plans figuratifs de certains lieux, dressés en vertu d’ordonnances judiciaires, pour servir à l’instruction et jugement des procès ; Palissy faisait par là les fonctions d’arpenteur-géomètre juré. (Note de Gobet.)