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DE L’ART DE TERRE.

fort esloigné (comme tu entendras ci apres), et ne dois trouuer mauuais si i’en fais vn peu long discours, afin de te rendre plus attentif à ce qui te pourra seruir.

Quand ie me fus reposé vn peu de temps auec regrets de ce que nul n’auoit pitié de moy, ie dis à mon ame, qu’est-ce qui te triste, puis que tu as trouué ce que tu cherchois ? trauaille à présent et tu rendras honteux tes detracteurs : mais mon esprit disoit d’autre part, tu n’as rien de quoy poursuyure ton affaire ; comment pourras-tu nourrir ta famille et acheter les choses requises pour passer le temps de quatre ou cinq mois qu’il faut auparauant que tu puisses iouir de ton labeur ? Or ainsi que i’estois en telle tristesse et debat d’esprit, l’esperance me donna vn peu de courage, et ayant consideré que ie serois beaucoup long pour faire une fournée toute de ma main, pour abreger et gagner le temps et pour plus soudain faire apparoir le secret que i’auois trouué dudit esmail blanc, ie prins vn potier commun et luy donnay certains pourtraits, afin qu’il me fist des vaisseaux selon mon ordonnance, et tandis qu’il faisoit ces choses ie m’occupois à quelques medailles : mais c’estoit vne chose pitoyable : car i’estois contraint nourrir ledit potier en vne tauerne à credit : parce que ie n’auois nul moyen en ma maison. Quand nous eusmes trauaillé l’espace de six mois, et qu’il falloit cuire la besogne faite, il fallut faire un fourneau et donner congé au potier, auquel par faute d’argent ie fus contraint donner de mes vestemens pour son salaire. Or par ce que ie n’auois point d’estoffes (matériaux) pour eriger mon fourneau, ie me prins à deffaire celuy que i’auois fait à la mode des verriers, afin de me seruir des estoffes de la despoüille d’iceluy. Or par ce que ledit four auoit si fort chaufé l’espace de six iours et nuits, le mortier et la brique dudit four s’estoient liquifiés et vitrifiés de telle sorte, qu’en desmaçonnant i’eus les doigts coupez et incisez en tant d’endroits que ie fus contraint manger mon potage ayant les doigts enuelopez de drapeau. Quand i’eus deffait ledit fourneau, il fallut eriger l’autre qui ne fut pas sans grand peine : d’autant qu’il me falloit aller querir l’eau, le mortier et la pierre, sans aucun ayde et sans aucun repos. Ce fait, ie fis cuire l’œuure susdite en premiere cuisson, et puis par emprunt ou autrement ie trouuay moyen d’auoir des estoffes pour faire des esmaux, pour couurir ladite besogne, s’estant