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DE L’ART DE TERRE.

bien portée en premiere cuisson : mais quand i’eus acheté lesdites estofes il me suruint un labeur qui me cuida faire rendre l’esprit. Car apres que par plusieurs iours ie me fus lassé a piler et calciner mes matieres, il me les conuint broyer sans aucune aide, à vn moulin à bras, auquel il falloit ordinairement deux puissans hommes pour le virer : le desir que i’auois de paruenir a mon entreprinse me faisoit faire des choses que l’eusse estimé impossibles. Quand lesdites couleurs furent broyées, ie couuris tous mes vaisseaux et medailles dudit esmail, puis ayant le tout mis et arrangé dedans le fourneau, ie commençay a faire du feu, pensant retirer de ma fournée trois ou quatre cents liures, et continuay ledit feu iusques à ce que i’eus quelque indice et esperance que mes esmaux fussent fondus et que ma fournée se portoit bien. Le lendemain quand ie vins à tirer mon œuvre, ayant premierement osté le feu, mes tristesses et douleurs furent augmentées si abondamment que ie perdis toute contenance. Car combien que mes esmaux fussent bons et ma besongne bonne, neantmoins deux accidens estoyent suruenus à ladite fournée, lesquels auoient tout gasté : et afin que tu t’en donnes de garde, ie te diray quels y sont : aussi apres ceux là ie t’en diray un nombre d’autres, afin que mon malheur te serue de bon-heur, et que ma perte te serue de gain. C’est par ce que le mortier dequoy i’auois massonné mon four estoit plain de cailloux, lesquels sentant la vehemence du feu (lors que mes esmaux se commençoient à liquifier) se creuerent en plusieurs pieces, faisans plusieurs pets et tonnerres dans ledit four. Or ainsi que les esclats desdit cailloux sautoient contre ma besongne, l’esmail qui estoit desja liquifié et rendu en matiere glueuse, print lesdits cailloux, et se les attacha par toutes les parties de mes vaisseaux et medailles, qui sans cela se fussent trouuez beaux. Ainsi connoissant que mon fourneau estoit assez chaut, ie le laissay refroidir iusques au lendemain ; lors ie fus si marri que ie ne te sçaurois dire, et non sans cause : car ma fournée me coutoit plus de six vingts escus. I’auois emprunté le bois et les estoffes, et si auois emprunté partie de ma nourriture en faisant laditte besongne. I’auois tenu en esperance mes crediteurs qu’ils seroyent payez de l’argent qui prouiendroit des pieces de ladite fournée, qui fut cause que plusieurs accoururent dés le matin quand ie commençois