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père qu’il continuera à l’être, en demeurant fidèle aux règles qu’il s’est données, et à ses méritoires antécédents.

Deux mots suffisent pour expliquer son symbole, sa profession de foi politique. Il dit : « Justice pour nous, justice pour tous ; raison et liberté pour nous, raison et liberté pour tous. » Il est cosmopolite. Je me plais au milieu de l’élite la plus patriotique de Montréal, au milieu des belles, aimables, vertueuses épouses des membres de l’Institut, ces maris dévoués au service du pays natal ou adopté, dévoués à la vie et à la mort, si celle-ci était requise pour le salut de la patrie. Jeunes demoiselles, belles, bonnes et patriotes comme vos mères, vous êtes ici dans un sanctuaire vénérable où le culte de la patrie est le plus dignement célébré, puisqu’il est pur de toute convoitise, de gain et d’intérêt personnels.

Messieurs de l’Institut, vous avez accepté l’apostolat de proclamer, de faire aimer, de défendre le droit de libre examen et de libre discussion, comme le meilleur et le plus légitime moyen de parvenir à la connaissance de la vérité, à l’amour de tout ce qui peut être bon et utile à l’humanité en général, à la patrie en particulier. Ce n’est que par le libre examen que l’on peut acquérir des convictions assez fermes pour qu’elles deviennent, en matières importantes, une véritable foi très-ardente, dont on veut la propagation et le triomphe à quelques risques et à quelques désagréments personnels qu’elle puisse nous exposer.

Au nombre des vérités les plus importantes et les plus utiles, celles qui se rapportent à la meilleure organisation politique de la société sont au premier rang. Elles sont de celles qu’il est honteux de n’avoir pas soigneusement étudiées, qu’il est lâche de n’oser pas énoncer, quand on croit que celles que l’on possède sont vraies et dès lors utiles.

Les bonnes doctrines politiques des temps modernes, je les trouve condensées, expliquées et livrées à l’amour des peuples et pour leur régénération, dans quelques lignes de la Déclaration d’Indépendance de 1776, et de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.

Vous allez vous récrier et dire : Est-il possible que les droits de l’homme et du citoyen ne lui aient été révélés que d’hier ? Non, non, Messieurs, le génie émancipateur du genre humain, le génie de la Grèce, le plus judicieux qui ait surgi sur la terre pour diriger l’humanité dans la voie du progrès, les avait compris, codifiés et pratiqués. Aristote, l’esprit le plus vigoureux de son temps, et peut-être de tous les temps ; le plus méditatif, le plus créateur, le plus encyclopédique ; Aristote explique comme on le fait depuis hier, depuis les déclarations du Congrès et de l’Assemblée nationale, depuis 1776 et 1789, tout ce qui a rapport à la science du gouvernement. Il la connaît à fond. Il a étudié et fait connaître plus de formes diverses de gouvernement qu’il n’en existe aujourd’hui dans l’Europe et l’Amérique entières. Il dit les avantages et les désavantages qui étaient attachés à cette infinie variété de gouvernements. Il dit pourquoi la monarchie adoptée dans l’enfance des nations, adoptée par tous les états de la Grèce dans les siècles antérieurs, y a été très-sagement rejetée plus tard. Il décrit toutes les espèces de monarchies : absolue, tempérée, constitutionnelle, héréditaire ou élective, accompagnées d’un, de deux, de trois corps indépendants pour la rendre durable et protectrice. C’est une œuvre capitale, comme tout ce qui est sorti de ce prodigieux cerveau.

Pour bien connaître quelle a été la filiation des idées et le progrès des sciences politiques depuis ces temps jusqu’au nôtre, l’étude réfléchie des politiques d’Aristote me parait indispensable. Je la conseille fortement à mes jeunes amis, à tous ceux qui sont appelés à participer à la vie gouvernementale et désirent s’y rendre vraiment utiles.

Dans le même département des sciences, l’homme et le livre qui font le plus d’honneur aux âges modernes et à la philosophie du 18ème siècle, est bien Montesquieu et son Esprit des lois. Son livre est bon à ce point, vous le savez, qu’il a fait dire « que le genre humain ayant perdu la grande charte de ses libertés, Montesquieu l’avait retrouvée, et la lui avait rendue. » Éloge vrai, mais mutilé et insuffisant. Il fallait ajouter qu’il l’avait retrouvée dans les politiques de son devancier, plus grand que lui, puisqu’il fut le découvreur des vrais principes dont Montesquieu a été l’habile commentateur. Aristote a été plus en garde contre le danger de mêler le faux au vrai, plus soigneux de ne pas laisser fléchir sa forte raison sous des considérations de position personnelle. Il était trop sincère pour voiler sa pensée par de craintifs ménagements. Aristote, précepteur d’A-