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À douze lieues de Québec, un malheureux propriétaire d’un moulin à vent n’a pas été à l’armée. Il en était exempté par son état, par la nécessité de ne pas laisser mourir de faim les femmes, les enfants, les vieillards du voisinage. Il fallait y laisser quelqu’un qui pût mouturer le peu de grain qui pourrait échapper au feu, au pillage, à la dévastation générale. Il avait quelques minots de blé de plus qu’il ne lui en fallait pour la consommation de sa famille. Il refusa de le vendre. Pressé, il dit : « Le roi de France n’abandonnera pas le Canada. Nos gens reviendront au printemps. Je leur donnerai mon blé, plutôt que de le vendre aujourd’hui. »

Rapport de ce grave propos est fait au général Murray.

Sa fureur est partagée par son entourage, et ne connaît plus de bornes. Il faut un exemple. Il faut frapper le pays de terreur ! hurle d’un commun accord la bande forcenée.

De suite l’ordre : « Un sergent, un caporal et un parti de huit hommes se rendront à St. Thomas, demanderont au meunier s’il ne se nomme pas Nadeau, et, sur sa réponse affirmative, le pendront à la vergue de son moulin, y resteront deux heures, et, après s’être assurés qu’il est bien mort, reviendront à Québec. »

Voilà comme étaient compris et expliqués les droits des nouveaux sujets anglais ; quelle était la protection promise, quelle était l’administration de la loi criminelle anglaise ; quelle serait l’administration des lois civiles, pari passu.

Quelques mois plus tard, en juillet 1760, M. Duchesnay, seigneur de Beauport, de la plus ancienne famille titrée au pays, toujours distinguée et méritante alors et depuis, officier dans l’armée française ou les milices, les avait suivies à Montréal. Beaucoup d’autre gentilshommes du gouvernement de Québec en avaient fait autant. Leurs résidences, plus éloignées, ne les laissaient pas connaître.

Les militaires n’allaient pas au loin. Beauport et la chute de Montmorency sont si près et si beaux, que les officiers de la garnison se donnaient le plaisir de faire cette charmante promenade. Le manoir, qui, je pense, subsiste encore, est une jolie maison dont le site heureux et la forme pittoresque sont très-appétissants. Cette maison avait servi de modèle à d’autres maisons seigneuriales, telles que le château de Vaudreuil sur la place Jacques-Cartier, une jolie maison à Près-de-Ville appartenant naguère à la famille Cotté, et quelques autres que j’ai vues debout, toutes disparues depuis, les unes tombant de vétusté, les autres pour l’agrandissement de la ville.

Il était naturel de demander à qui appartenait le joli castel. Au seigneur de l’endroit, M. Duchesnay. – Où est-il ? – Apparemment à Montréal, avec l’armée. – Oh ! bon ! bon ! à nous la maison !

Le général et son conseil avaient passé une ordonnance, portant que de tous les habitants de cette partie du Canada appelée le pays conquis….. ceux qui ne rentreraient pas dans leurs foyers, mais demeureraient avec l’armée française, seraient privés de tous leurs biens, terres et possessions ; « et vu que M. Duchesnez (sic), habitant de Beauport, est actuellement avec l’armée française, nous, nous le dépouillons de toutes ses maisons, terres et possession, de tous les biens réels et personnels qu’il a, ou qu’il a eus en aucun temps dans la paroisse de Beauport, et nous vous les donnons, à vous, capitaine Wm. Johnston, et à vous, lieut. Nugent, avec tous les droits qu’y pourrait exercer le dit Duchesnez, s’il était sur ses biens et en possession d’iceux, avec plein pouvoir à vous, à vos hoirs, exécuteurs et ayants-cause, de les vendre et aliéner comme bon vous semblera. En foi de quoi j’appose mon sceau et ma signature – Jas. Murray, 2 juillet 1760  »

Voilà un système facile et expéditif de confiscation. Mais quel degré d’ignorance, de rapacité, de manque d’honneur, chez le gouverneur qui enlève et chez les militaires qui reçoivent ces dépouilles !

La capitulation de Montréal en septembre suivant annula de plein droit ce vol officiel.

Ajoutons qu’il n’y avait pas encore d’imprimerie dans le pays pour faire connaître ces décisions, appelées ordonnances ; ni de traductions françaises pour qu’il fût possible à ceux qu’elles concernaient de les comprendre.

Ainsi fut, au début, représenté le gouvernement anglais, par des hommes capables de telles aberrations d’esprit, coupables de tels excès d’emportement.

Qui le croirait ? Ce gouverneur était bien meilleur que tous ses adjoints en autorité. Parmi ceux-ci furent : 1o. des vivandiers et cabaretiers qui avaient fait fortune en suivant et vendant dans le camp ; 2o. on tira