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neurs de la guerre, au moment de la capitulation.

La sommation de se rendre fut altière. Noble et ferme fut le refus.

Pendant tout le siège les pertes furent, dans les escarmouches comme dans les attaques régulières, en sens inverse du nombre des combattants, trois à quatre dans les gros bataillons contre un dans les petits pelotons.

Irrité d’une résistance si héroïque, la colère faisant place à tout sentiment de justice et de raison, Wolfe écrit que si l’on continue à employer les Sauvages, il fera fusiller les prisonniers de guerre Français et Canadiens.

On lui répond qu’il ne le fera pas ; qu’il ne voudra déshonorer ni son nom ni celui de son roi et de son pays ; qu’il ne réussira pas à faire de ses braves soldats des assassins ; que sa menace est oiseuse, et qu’après réflexion il aura regret de l’avoir proférée.

La semonce porte fruit. Les Sauvages combattent et font des prisonniers. Wolfe combat, fait des prisonniers et ne les assassine pas.

Mais la raison n’a pas encore fait entier retour chez lui.

Par quatre ordres successifs, il fit porter la torche incendiaire depuis St. Antoine de Tilly à Kamouraska, quarante lieues de pays. Il le fit dans la Côte de Beaupré, dix autres lieues de pays, cinquante lieues en tout, où il n’y avait pas un homme en armes, mais une foule de femmes, d’enfants et de vieillards en pleurs et en prières pour la conservation des jours de leurs époux, de leurs pères, de leurs enfants de plus de douze ans. Tous ceux-ci étaient rendus, comme le devoir, l’honneur et leurs grands cœurs le voulaient, autour de l’enceinte infranchissable de Québec.

Même dévastation dans l’Île d’Orléans abandonnée, vide même d’infirmes, de femmes et d’enfants, transportés au-dessus de Jacques-Cartier.

Dans la ville, aux trois-quarts abîmée et incendiée par le jet continu jour et nuit de boulets, bombes et pots à feu pendant trois mois, l’on se disait : « Il est visible qu’il n’espère plus rester au pays. S’il y devait rester, il aurait des intérêts de conservation. Quand il n’a plus que la rage de la destruction, c’est qu’il est à la veille de battre en retraite. »

Ce retour à la confiance rendit moins vigilant. Une surprise eut lieu. Une erreur emporta le grand Montcalm à la témérité d’attaquer avec la moitié de son armée, qu’il aurait eue entière deux heures plus tard, des troupes braves comme les siennes, mais bien plus nombreuses et bien mieux postées. Il fut battu.

Les deux généraux tombent avec gloire. Wolfe s’écrie : « Je meurs heureux, puisque mon pays est vainqueur. »

Vaillant mot, qui pour les siens et au jour de son martyre absout de grands torts.

Mais l’histoire véridique est inexorable. Elle n’a pas le droit de cacher les crimes et les hontes des héros. Elle dira et redira que Wolfe a outragé les lois de l’humanité et violé le droit de la nature et des gens, tel qu’il était réglé et arrêté depuis longtemps entre toutes les nations policées ; qu’il n’y a que le crime de l’expulsion des Acadiens qui, en noirceur, dépasse le sien, et que c’est l’aristocratie anglaise qui les a voulus tous deux.

Voilà au début ce qu’ont été les titres de l’Angleterre à l’affection de nouveaux sujets.

Le triomphe, la joie et le butin, et le crime aussi, restent au vainqueur ; la douleur, la ruine, l’honneur sans tache, restent aux vaincus. Hommage à nos glorieux ancêtres !

Vient le régime soldatesque. Québec a capitulé. Partie des troupes est retournée en Angleterre et dans les colonies voisines. Le général Murray avec une forte garnison est cantonné dans la ville. Il prétend qu’avec la chute de la forteresse, le gouvernement entier de Québec est devenu anglais. Il sait qu’il ne reste pas un seul homme armé dans ce gouvernement ; que les troupes françaises se sont repliées sur Montréal, à soixante lieues de distance. Il n’avait rien à craindre. Il n’était pas docteur en droit, j’en conviens. Mais il n’est pas un Anglais à l’âge d’homme, pas un homme de naissance et d’assez d’instruction pour être général dans l’armée, qui ignore que la loi anglaise, comme la loi de Dieu, défend l’assassinat.

L’événement de la conquête semble avoir troublé les têtes et vicié les cœurs, ouverts aux seules inspirations des folles terreurs sans causes, à la soif du sang, au désir d’atroces vengeances.

Que le pouvoir nourrisse de tels sentiments ; qu’il paie les séides et les sicaires prêts à applaudir à ses brutalités, il ne manquera pas d’espions, pourvoyeurs de chair humaine, pour gratifier ses appétits.