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verneur, les conseils et les cours, furent de la plus grande virulence et bien plus scandaleux que les précédents parce qu’il y avait maintenant un journal, qui rendait compte des enquêtes, prouvant la culpabilité de la plupart des employés.

Cette imprimerie publiait, pour qui voulait la bien payer, les accusations, les réclames, les réfutations des combattants. Il n’y eut jamais plus de pamphlets canadiens qu’à cette époque.

Une seule presse n’y suffisait pas. L’impression d’ailleurs était très chère ici : prix de monopole.

La sécurité pour l’expression libre de ses pensées était bien plus grande à Londres qu’ici.

Là étaient aussi les juges du combat.

Il y eut toujours vingt pages et plus d’imprimées à Londres, contre une à Québec.

Bientôt juges et plaideurs, conseillers et pétitionnaires, tous convinrent que l’état actuel était intolérable, et qu’il en fallait chercher un meilleur auprès du parlement, qui avait si mal réussi dans ce coup d’essai.

Ainsi finit dans la réprobation unanime le premier régime parlementaire.

Pendant sa durée, le général Haldimand eut son règne de terreur et ses lettres de cachet, bien plus cruelles que celles du despotisme français. Il jeta dans les prisons, les pontons, ou le couvent des Récollets, des centaines de personnes, – citoyens qui ne surent jamais ni les noms de leurs accusateurs, ni la nature des crimes qui leur étaient imputés, qui ne purent obtenir de procès, qui furent soumis à des traitements brutaux, qui furent toujours tenus au secret, et qui, emprisonnés durant bon plaisir, ne savaient quand ni comment cesseraient le pouvoir et la malice de leur tortureur.

Il doit y avoir beaucoup plus de détails authentiques dans quelques registres encore et trop longtemps tenus secrets, que n’en fournissent les écrits connus sur cette funeste époque.

Du Calvet, passé en Angleterre pour y faire imprimer ses livres accusateurs contre cet odieux tyran, en fit passer un bon nombre de copies au Canada. Il y revenait pour prélever des fonds, afin de poursuivre devant les tribunaux son atroce persécuteur. Il périt en mer. On sait le départ du vaisseau qui devait le porter ; son arrivée n’est annoncée ni au point de destination, ni en aucun autre endroit. Il a donc sombré en mer. Beaucoup de ses amis ont cru à sa mort violente. Mais l’on ne doit jamais admettre qu’un crime énorme a été commis, quand il n’a pas été clairement prouvé.

Le bill de’74 et les opinions des officiers en loi de la Couronne avaient enfin reconnu qu’aux termes de la capitulation et du traité de paix de 1763, et même d’après les seuls principes du droit public de l’Europe chrétienne, il n’aurait jamais dû y avoir, pour un nouveau sujet, d’incapacité à l’exercice d’aucun emploi public, à raison de son catholicisme, et qu’en Canada tous les sujets étaient de plein droit sur un pied de parfaite égalité. L’oligarchie coloniale n’en continuait pas moins à demander le système représentatif, avec droit d’éligibilité pour les protestants seuls. Les Canadiens le demandaient pour tous sans distinction de culte ni d’origine. Ils étaient dans le vrai. Les hésitations des cabinets anglais duraient depuis plusieurs années, laissant tout ici dans la souffrance et le désordre. Elles eussent duré plus longtemps sans la tourmente qui, en un instant, ébranle et déracine la plus ancienne et la plus forte monarchie du monde, disperse sa vaillante noblesse et soulève de toutes parts le flot populaire autour d’elle. La consternation est dans toutes les cours et l’épouvante chez tous les nobles, chez ceux de l’Angleterre plus qu’ailleurs, parce qu’ils sont plus éclairés et plus réfléchis. L’effroi que répandent les principes de l’Assemblée nationale a des effets plus salutaires que n’en avait produits la Déclaration d’indépendance. L’on fait mine de se convertir, si l’on ne se convertit pas sincèrement. Le danger étant devenu plus grand en se rapprochant, on est plus libéral en’89 qu’en’76, et l’on accorde enfin le système représentatif, avec le suffrage presque universel et l’éligibilité, la même pour tous les sujets indistinctement.

Il fallait que ces concessions fussent avantageuses aux majorités, pour que les hommes de la minorité, qui avaient toujours gouverné jusqu’alors, se montrassent si fort irrités de se voir, disaient-ils, abaissés à ce niveau. L’influence constitutionnelle du corps représentatif va sans doute être la même ici que celle qu’il a déjà en Angleterre, et elle y est grande. Bons Canadiens, on vous le dit, et vous le croyez… Réveillez vous ! votre songe doré va s’évanouir. La Couronne a toujours le droit de nommer