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législatifs avaient été rendus électifs. Ceux qui s’étaient moralement ennoblis en arrachant cette importante concession aux autorités coloniales et métropolitaines s’ennoblissent-ils beaucoup aujourd’hui en la ravissant à leurs compatriotes ? Au contraire, ils sentent et savent qu’ils n’échapperont pas au mépris que méritent ces tergiversations. Ils luttent entre eux avec acharnement pour obtenir d’outre-mer des titres nobiliaires. Ils fraudent d’une part leur pays et se fraudent même entre eux pour la supériorité du rang ; et ils trouvent même moyen d’associer à leur honte de nombreux complices, comme si elle était moins foncée pour être plus partagée ! Ils promettent aux conseilleurs élus pour une période de les faire conseillers à vie. Ils créent un simulacre d’aristocratie, devenue telle par la participation des intéressés à une violation patente de la loi. Toutes ces intrigues sont assez immorales pour plaire au cabinet anglais et le pousser à un acte pire que presque tous ses torts passés. Les réactionnaires redemandent les institutions du moyen-âge à l’instant même où le noble peuple anglais les démolit.

En récapitulant quelques phases de l’histoire de notre pays pour vous indiquer la politique systématiquement suivie par le gouvernement aristocratique de l’Angleterre, dans ses anciennes comme dans ses nouvelles colonies, j’ai voulu vous montrer que ce système a toujours été imposé d’après les préjugés naturels de la caste qui nous gouverne dans son intérêt, intérêt qui est en conflit perpétuel et irrémédiable avec ceux des masses ; qu’il a été nuisible aux établissements nouveaux en Amérique ; que l’intérêt de ceux-ci est de demander leur émancipation le plus tôt possible, et d’acquérir tous les avantages et tous les privilèges de nationalités nouvelles, tout à fait indépendantes de l’Europe.

C’est à mes concitoyens de toutes les origines que j’en appelle aujourd’hui comme je l’ai toujours fait ; que je dis que nous devons être non-seulement soucieux de conserver les droits qui sont acquis, mais que, par la libre discussion, nous devons nous efforcer sans cesse d’en acquérir de nouveaux. Le meilleur moyen d’obtenir cet heureux résultat est d’appeler les jeunes et vigoureux esprits d’élite, de toutes les diverses nationalités, à se voir, à se réunir fréquemment dans cette enceinte, dans cette bibliothèque, dans les autres enceintes, dans les autres bibliothèques de même nature. Ils s’y verront comme amis, comme égaux, comme compatriotes. Ils partageront une admiration commune pour Shakespeare et Corneille, pour Newton et Buffon, pour Coke et Domat, pour Fox et Lamartine, – pour la légion des hommes éminemment grands, serviables à l’humanité entière, que les deux nationalités anglaise et française ont produits en si grand nombre. Dans l’état de notre société, avec la facilité d’apprendre dès l’enfance les deux langues, ce sera à l’avenir se condamner à une infériorité marquée que de négliger de les bien apprendre également toutes deux, que de n’être pas apte à goûter avec avidité les fruits exquis que leurs littératures ont produits, plus abondants et plus savoureux que ceux des autres peuples.

Non, il n’est pas vrai que les dissensions politiques, qui ont été si acharnées dans les deux Canadas, fussent une lutte de races. Elles étaient aussi âpres dans le Haut-Canada, où il n’y avait qu’une nationalité, qu’ici, où il y en avait deux. Les majorités de toutes deux étaient les amis désintéressés des droits, des libertés, des privilèges dus à tous les sujets anglais. Elles s’exposaient volontairement à des diffamations menteuses, à des colères dangereuses, à des vengeances sanguinaires quelquefois, de la part de minorités égoïstes, faibles par elles-mêmes, mais soutenues par la puissance des bayonnettes payées avec l’or du peuple, mais partout dirigées contre le peuple.

Les hommes les plus éclairés de l’Angleterre et de l’Amérique ont appelé nobles et justes les efforts que mes amis anglais et mes amis canadiens, et moi et mes collègues en chambre, et nos collègues par l’identité de principes et la communauté de dévouement dans l’Assemblée du Haut-Canada, avons faits pour délivrer nos pays de l’outrage et de l’oppression. Il était dans les préjugés et dans les intérêts de l’aristocratie d’applaudir aux excès de la bureaucratie coloniale, noblesse au petit pied, singeresse des grands airs, copiste des pratiques, adepte du machiavélisme de ceux qui l’avaient installée. Le parlement les a approuvés, la raison les a flétris. Le parlement les a approuvés ! Mais n’est-il pas notoire que plus des neuf-dixièmes de la représentation impériale restent étrangers à tout intérêt, à toute connaissance de ce qui se fait et de ce qui devrait se faire dans les colonies ? À cette époque surtout, c’est le ministre co-