Page:Papineau - Histoire de la résistance du Canada au gouvernement anglais, paru dans Le Temps, 20 mai 1839.djvu/6

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» Mais l’hostilité des races ne suffit pas pour faire connaître les causes de si grands maux, puisque l’on peut observer les mêmes résultats dans les deux provinces. Le Bas-Canada ou même les deux Canadas ne sont pas les seules dans nos colonies où soit engagée la lutte entre le pouvoir exécutif et les corps populaires. Dans le Haut-Canada, avant les dernières élections, les représentants étaient hostiles. Ce n’est que tout récemment que l’on paraît avoir calmé les mécontentements les plus sérieux dans le Nouveau-Brunswick et l’île du Prince-Édouard ; le gouvernement est en minorité dans l’assemblée de la Nouvelle-Écosse et les dissensions ne sont pas moins violentes à Terre-Neuve que dans les Canadas. L’état naturel dans toutes ces colonies est celui de collision entre le pouvoir exécutif et les représentants.

» Un tel état de choses indique une déviation de quelque principe constitutionnel. Quand nous examinons le système mis en œuvre dans ces colonies, il semblerait que l’objet de ceux qui l’ont conçu ait été de combiner avec des institutions populaires en apparence une absence complète de tout contrôle de la part du peuple sur les fonctionnaires. Ainsi le système représentatif a été élevé sur la base large et solide de suffrages si nombreux qu’ils équivalent au suffrage universel ; la réunion annuelle des représentants est voulue par des dispositions textuelles, et leurs attributions dans leurs provinces sont presque aussi étendues que celles de la Chambre des communes en Angleterre. Mais en même temps la couronne voulait des revenus soustraits à tout contrôle et prétendait conduire le gouvernement à sa guise. Dans le Bas-Canada, du moment où l’assemblée voulut faire usage de ses pouvoirs, elle se trouva aux prises avec l’exécutif. L’exercice de la liberté des débats dans son enceinte entraîna l’emprisonnement de ses membres les plus influents. Bientôt les nécessités du gouvernement le réduisirent à accepter l’offre de l’assemblée d’y subvenir par de nouvelles taxes ; mais pendant plus de vingt ans le contrôle lui en fut contesté : elle ne l’obtint qu’en 1832.

» Du reste, après cette reconnaissance de son droit, l’assemblée n’a pas été plus respectée qu’auparavant. Elle pouvait faire rejeter les lois, octroyer ou refuser les subsides, mais ne devait avoir aucune influence sur le choix d’un seul des serviteurs de la couronne. Il est même arrivé que le seul fait d’une hostilité connue contre la majorité de la chambre a porté des personnes d’une capacité notoire à des postes de profit et d’honneur. Les lois emportées après une longue résistance était livrées pour leur exécution à la foi de ceux qui les avaient combattues avec la plus opiniâtre animosité.

» Un gouverneur colonial, arrivant dans un pays qu’il ne connaît pas, est obligé de s’en rapporter à ceux qu’il trouve en place. Ils savent toujours le mettre à son début, en collision avec le pays, et par là le jeter dans leur dépendance. Fortifié par des liaisons de famille, par l’intérêt commun à tous ceux qui ont ou qui sollicitent des emplois, le parti officiel dans le Bas-Canada forme un corps compact, permanent, affranchi de toute responsabilité, inaltérable, exerçant sur le gouvernement en entier une autorité absolue indépendante du peuple et de ses représentants, et seul ayant les moyens d’exercer une influence sur les décisions du gouvernement en Angleterre et du représentant de la couronne dans la colonie. L’opposition de l’assemblée était le résultat inévitable d’un tel système. Quand tous les autres moyens lui ont manqué de pouvoir influencer les choix ou les mesures du gouvernement colonial, elle a eu recours à cette ultima ratio du pouvoir représentatif à laquelle les retraites prudentes de la couronne n’ont pas réduit les communes en Angleterre et, pour détraquer la machine d’un tel gouvernement, elle a refusé les subsides.

» Le conseil législatif (la seconde chambre de la législature est ainsi nommée) était composé de manière à n’avoir aucune autorité morale auprès du peuple ou de ses représentants, à qui l’on avait prétendu l’opposer comme contre-poids. Sa majorité fut toujours composée de ceux qui conduisaient le département exécutif, et n’était dans le fait qu’une sorte de veto entre les mains des fonctionnaires publics.

» Il est littéralement vrai de dire qu’il n’y a pas dans la province de pouvoir qui dirige les mesures du pouvoir exécutif. Le gouverneur, dit-on, représente le souverain ; mais, en réalité, il n’est qu’un employé subordonné, recevant des injonctions d’un secrétaire d’État et responsable vis-à-vis de lui seulement.

» La tendance a été de référer toutes les questions au bureau colonial,