Page:Papineau - Histoire de la résistance du Canada au gouvernement anglais, paru dans Le Temps, 20 mai 1839.djvu/7

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où l’on ne pouvait pas avoir les lumières nécessaires pour les bien décider. La colonie, dans tous les momens de crise, dans tous les détails d’administration, a donc éprouvé l’embarras d’avoir ainsi son autorité exécutive fonctionnant, non chez elle, mais de ce côté de l’Océan. Les fréquens changemens de ministère qui ont eu lieu chez nous, quoiqu’ils n’eussent aucune liaison avec les intérêts coloniaux, n’en ont pas moins déplacé les ministres des colonies si rapidement qu’aucun d’eux n’a eu le temps d’acquérir une connaissance même élémentaire de la situation de sociétés si nombreuses et hétérogènes. De 1827 à 1838, il y a eu huit ministres coloniaux, et la politique de chacun de ces hommes d’État a différé de celle de son prédécesseur. Les affaires les plus importantes ont été conduites par de secrètes et mystérieuses correspondances entre le gouverneur et le secrétaire d’État. Le voile n’était levé que par des désastres et des faits accomplis, après un long intervalle d’incertitude et de malentendu.

» Le premier besoin des peuples est une administration efficace de la justice. Or, c’est un fait lamentable, et qui ne doit pas être celé, qu’il n’existe pas dans l’esprit du peuple de cette province le plus léger degré de confiance dans l’administration de la justice criminelle. Quant aux juges de paix, la charge est impopulaire chez les Canadiens, d’après la persuasion qu’ils sont nommés dans un esprit de parti et de préférence nationale. Je suis affligé de remarquer que le gouvernement anglais n’a rien fait, ni même essayé de faire, pour l’avancement de l’éducation dans la province, depuis qu’il en est en possession. Il a employé partie des biens qui avaient appartenu à l’ordre défunt des Jésuites, et qui étaient consacrés à l’enseignement, pour subvenir à une espèce de fonds pour services secrets, et pendant de longues années il a soutenu une lutte opiniâtre contre l’assemblée, afin de continuer cette malversation. »

En parlant des colonies où la population n’est plus mixte mais toute anglaise, celle de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick qui sont l’ancienne Acadie française et l’île du Prince-Édouard, alors île Saint-Jean, le rapport continue :

« Leurs ressources amples et variées sont déplorablement négligées. Leur faible population étale un hideux aspect de pauvreté, de paresse, de torpeur ; et si quelques portions sont améliorées, cela est presque toujours dû à quelques capitalistes ou cultivateurs venus des États-Unis. La Nouvelle-Écosse offre le spectacle affligeant, dans une grande partie de son étendue, de la moitié des maisons abandonnées, de fermes épuisées et en ruines. Les terres achetées, il y a trente à quarante ans passés, au prix de cinq shillings l’acre, s’y revendent au prix de trois. Faute de capital, les habitans se laissent enlever leurs pêcheries sur leurs côtes, à la porte de leurs demeures, par les Américains. Ces provinces, avec trente millions d’acres en superficie, quoique des plus anciennement établies ont, au plus trois cent soixante mille habitants, (Elle n’en ont que deux cent soixante-dix mille.)

» Quel contraste sur toute l’étendue des frontières limitrophes !

» Du côté des Américains indépendans, partout l’aspect d’une industrie productive, de richesses croissantes, d’une civilisation progressive ; des ports nombreux où se pressent des flottes nombreuses, de grandes et belles maisons, d’immenses magasins et dépôts d’effets de commerce, des ateliers, des villages, des villes, de grandes cités surgissant comme par enchantement.

» Du côté des Anglais, tout est solitude, tout est désolation.

» Cette pénible, mais incontestable vérité, est apparente sur tous les points d’une frontière de plus de quatre cents lieues. La différence du prix des terres y est immense, souvent de mille par cent, quelques fois plus. Le prix des terres dans les États de New York et de Michigan est infiniment plus considérable que celui des terres dans le Haut-Canada. Dans le Vermont et le Nouveau Hampshire, il est de cinq dollars l’acre, d’un dollar dans le Bas-Canada.

» L’émigration anglaise, au lieu de se fixer dans nos colonies, se réfugie en nombre aux États-Unis, et par cette cause le Haut-Canada qui, sans cette retraite, aurait cinq cent mille habitants, n’en compte que quatre cent mille. Il en a été de même des émigrants qui ont mis pied à terre dans la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick ; n’y trouvant pas assez d’encouragement, ils ont continué leur marche et se sont rendus aux États-Unis. Beaucoup d’anciens colons en font autant.

» Voilà les résultats lamentables des maux politiques et sociaux qui ont si long-temps fatigué les Canadas ; et à cette heure nous sommes dans la