Page:Paquin, Huot, Féron, Larivière - La digue dorée, 1927.djvu/55

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
53
LE ROMAN DES QUATRE

ne vit plus que dans l’imagination de ses reporters.

Pour contredire les témoignages si précis et si positifs du Chef de Police de la vieille capitale et du Gérant du Château Frontenac, elle nous donne les affirmations pâteuses d’un fervent adorateur du dieu Bacchus encore sous l’effet des vapeurs émanant de la médecine de la Commission des Liqueurs, elle nous donne le récit fantaisiste du dénommé Durand, un accusé que le défaut de preuves assez convaincantes et certaines influences ont permis d’arriver sur le théâtre des événements après qu’ils eussent pris fin et enfin, le témoignage d’une jeune personne, très sympathique à la vérité, mais dont l’esprit est imbu de l’image de son fiancé perdu et qui, naturellement, se rattache à tout espoir.

Et puis, le confrère devient lyrique, il a des larmes plein ses lignes, il invente des histoires abracadabrantes, saupoudrées d’évocations de la nébuleuse Orphir et du fabuleux Pérou : découvertes merveilleuses, séquestrations, menaces de mort, tout le tralala enfin… Il suppose… Il suppose… Il suppose…

Anxieux de mettre fin, une fois pour toutes à cette sotte histoire, nous avons fait une enquête sérieuse et ce n’est pas des suppositions, mais bien des faits que nous présentons aujourd’hui à nos lecteurs.

Le maire de Golden Creek, à qui nous avons télégraphié, nous répond : « Nous ignorions que le cercueil de Germain Lafond ait été exhumé, ne connaissons même pas l’endroit précis où Lafond fut inhumé. » (Voir ci-contre photographie du télégramme dont nous donnons la traduction).

Et de un !…

De Québec, Ministère des Mines, on nous répond : « Aucun permis minier enregistré sous le nom de Germain Lafond ». (Voir photographie du télégramme).

Et de deux !…

De Toronto, Ministère des Mines, on nous répond également : « Aucun permis minier enregistré au nom de Germain Lafond ». (Voir photo du télégramme).

Et de trois !…

Et maintenant, si notre confrère veut absolument que son canard ne meure pas d’inanition, qu’il nous apporte des faits et non des suppositions ! »

Décidément, la polémique était engagée entre les deux grands quotidiens de Montréal et cette polémique eut sa répercussion non seulement dans le public ; mais aussi dans les journaux de moindre importance de la ville et de la campagne. Un théâtre de banlieue fit salle comble durant six semaines consécutives avec « Le Trésor de Germain Lafond », élucubration fantaisiste due à la plume d’un dramaturge de fortune ; régulièrement tous les deux jours on voyait en première page du « Monde » les photographies de Mouton ou de Durand, « les fidèles amis du malheureux disparu » et enfin, une trentaine de représentants de journaux américains s’étaient inscrits dans divers hôtels de la ville, à l’affût de tout nouveau développement dans l’affaire Lafond.

Depuis plus de dix jours, aucun incident nouveau ne s’était produit et les esprits semblaient vouloir se calmer quand un fait, insignifiant semblait-il, vint donner à cette cause déjà si mystérieuse un regain d’intérêt.

Dans le numéro du dix-sept août, du « Monde » on pouvait voir la photographie d’un bambin et sous la photo : « Le petit Louis Larivée, fils de Pierre Larivée, employé civil et de Madame Pierre Larivée, (née Marie Rose Garneau), le petit garçon qui a été le premier à apercevoir le « Ballon Mystérieux ».

Plus bas, on voyait la reproduction d’un terrain de jeu entouré d’une clôture de bois avec un coin marqué d’une croix et sous l’illustration la légende : « Terrain de jeu de la Maison Jean Le Prévost, la croix indique l’endroit précis où se trouvait le jeune Larivée quand il a aperçu le « Ballon Mystérieux ».

Et sous le titre énorme : « UN BALLON MYSTÉRIEUX » le journal donnait trois colonnes de texte serré.

Vers dix heures, cet avant midi, un bambin s’était présenté au journal et avait demandé à parler au Directeur. Intrigué, celui-ci avait consenti à le recevoir. En pénétrant dans le bureau directorial, le bambin avait été quelque peu décontenancé ; mais il avait bien vite réagi. Et voici l’histoire qu’il avait racontée.

Il était à jouer dans la cour du Patronage quand il vit venir dans les airs un ballon comme on en lance à la Saint-Jean Baptiste. Le ballon suivait la direction nord sud. Quand il l’aperçut, il survolait la Bras-