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LE ROMAN DES QUATRE

— Oui, mademoiselle, si vous voulez bien m’accorder cet honneur.

Avec une aimable discrétion dont lui sut gré Elzébert, Mme Chénier se leva à son tour, poussa un fauteuil près du divan où se tenait Jeannette et dit avec le meilleur sourire :

— Veuillez vous asseoir, Monsieur Mouton, ma nièce aura grand plaisir en votre compagnie.

Elle assura Jeannette de son même sourire et se retira sans bruit.

— Bon ! fit Elzébert en lui-même, voilà au moins une femme intelligente ; ça ne me coûterait pas trop de l’avoir pour belle-mère.

Cependant, Jeannette venait de se rasseoir, joliment intriguée par la visite inattendue de cet homme qui, d’ailleurs, elle s’en souvenait, l’avait arrachée des mains de ses geôliers. Et comme Elzébert, tout à coup gêné, se grattait les oreilles pour chercher la seconde phrase, la jeune fille, souriant avec une belle candeur, murmura :

— Je suis bien contente, monsieur Elzébert, de vous revoir sitôt. Je sais que je vous dois peut-être mon existence ; car je m’imagine bien que ces bandits allaient me faire un mauvais parti, lorsque, grâce à Dieu ! vous êtes survenu si à point pour me sauver. Je ne saurais par de simples paroles vous exprimer convenablement toute ma gratitude ; aussi, puis-je vous demander de me dire comment je pourrais le mieux vous démontrer que je ne suis pas une ingrate ?

Ces paroles, douces, suaves, musicales, ramenèrent la confiance dans l’esprit confus du trappeur.

— Mademoiselle, répondit-il en tentant d’user du meilleur langage, je vous prie de ne pas exagérer la somme de gratitude que vous croyez me devoir. Certes, j’avoue que j’ai éprouvé beaucoup de plaisir à vous être utile, plaisir qui me dédommage amplement ; mais je dois bien admettre aussi que mon amitié pour cet ami commun, qu’un malheur a enlevé si subitement à ceux qui l’aimaient, m’a été un fort stimulant. Je devais bien à sa mémoire de me rendre utile, le cas échéant, à sa fiancée qu’il adorait.

À cette évocation du disparu, Jeannette cacha sa figure dans son mouchoir.

Troublé une fois encore, Elzébert toussota, et poursuivit, la voix très tremblante d’émotion :

— Aussi, dois-je vous dire que je ne suis pas venu pour vous demander l’expression de votre reconnaissance à mon égard, ni pour vous demander ce que vous ne me devez pas, car, je le dis franchement, je suis largement payé à la seule pensée de vous savoir heureuse ; mais je suis venu pour vous informer que le mystère, qui nous enveloppait tous ce matin, est maintenant dissipé.

Jeannette leva vivement sa figure légèrement mouillée de larmes, et regarda curieusement son interlocuteur.

— Je vais bien vous surprendre, continua Elzébert, mais vous ne le serez certainement pas plus que je ne l’ai été… oui, le mystère qui entourait l’assassinat de notre cher ami Germain Lafond n’existe plus.

— Que voulez-vous dire ? s’écria la jeune fille, tout à coup joyeusement troublée par le secret espoir d’apprendre une nouvelle qu’elle souhaitait, c’est-à-dire que celui qu’elle croyait mort était vivant.

— Je veux dire, mademoiselle, que l’assassin a été trouvé et arrêté.

Or, le rayon de joie qui, une seconde, avait paru illuminer la jeune fille, se dispersa, et une ombre presque lourde envahit les traits pâles et tirés.

— Ô mon Dieu ! gémit la malheureuse enfant, quelle terrible nouvelle allez-vous m’apprendre encore, Monsieur Elzébert ?

Lui, faillit perdre tout à fait contenance : quoi ! il venait, lui semblait-il, instruire la jeune fille d’une bonne nouvelle, et elle s’effarouchait, elle prenait quasi l’épouvante !

— Pardon, répliqua-t-il d’une voix zézayante cette fois, la nouvelle n’est pas si affreuse, puisque, enfin, vous allez savoir votre fiancé dignement vengé.

— Hé ! monsieur, sanglota l’inconsolable Jeannette, cette vengeance ne me rend pas mon fiancé !…

Puis, moins âprement :

— Il a donc été réellement tué ? demanda-t-elle dans un soupir qui souleva une poitrine qu’Elzébert devinait admirable.

— Hélas ! soupira également le trappeur. Et si, mademoiselle, ajouta-t-il avec un sanglot fort bien imité dans la voix, vous avez conservé un secret espoir, j’ai bien le regret de vous affirmer que cet espoir est vain, car l’assassin est arrêté. Or, on n’arrête pas un homme pour rien !

— C’est vrai, avoua la jeune fille en relevant ses yeux magnifiques sur son visiteur. Mais cet assassin, qui peut-il être ? Serait-ce celui que j’ai un peu soupçonné ?

— Quoi ! fit Elzébert avec surprise, l’auriez-vous soupçonné aussi ? Quelle coïncidence de pensée !