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ŒIL POUR ŒIL

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qui se manifesta jusqu’au milieu de ses fidèles.

Un jour à l’Assemblée Nationale qui portait encore le nom de Provisoire, un député se leva, un jeune professeur d’université qui osa se dresser à la face du pouvoir et l’accuser d’avoir forfait à sa mission.

Ce fut le signal d’un chahut parlementaire, qui dégénéra en discussions acerbes, voire en bagarres. Plusieurs députés en vinrent aux prises, et oublieux de leur dignité, échangèrent des injures ; il y eut des yeux noircis, des nez brisés, des visages meurtris…

Le pouvoir changea de main. Un groupe d’extrémistes s’en empara séance tenante, déclara la déchéance du dictateur, lui dressa un simulacre de procès, le condamna à être fusillé, ainsi qu’une dizaine de ses fidèles…

Albert Kemp présent, s’insurgea, refusa de reconnaître la légalité du Parlement. On fit venir les agents d’armes. Il dégaina son sabre, abattit deux des personnes qui s’approchaient pour l’appréhender, et tomba de son long, atteint d’une balle à la tempe.

La victoire des extrémistes fut de courte durée. La plupart étaient las de cet état chaotique et voulaient pour leur pays, l’établissement d’une république et d’un gouvernement plus stable. L’élément modéré triompha quelques jours après, et l’appel au peuple fut décidé… Il y eut un président d’élu qui devait incarner dans sa personne l’image officielle du pays. Dans la constitution nouvelle élaborée fiévreusement durant les nuits de veille qui précédèrent, on lui octroya le droit de veto. Ce fut presque sa seule prérogative. Pour le reste il était soumis au bon vouloir du ministère, et surtout du chancelier.


XI


C’est alors que von Buelow décida d’entrer en campagne.

Il appartenait au parti des modérés, qui, lassés des troubles successifs, soupiraient après l’ère nouvelle, une ère de sécurité intérieure comme extérieure…

L’élection fut de courte durée.

Les modérés prirent le pouvoir avec une faible majorité.

Luther Howinstein devint chef de la gauche…

Une année se passa, une année sans histoire politique… Le pays vécut tranquillement, de sa vie d’autrefois. Pour un observateur, il était aisé de surprendre différents indices qui indiquaient qu’un feu latent couvait sous la cendre.

Celui qui l’activait : Luther Howinstein. Le mobile : une femme.

Howinstein, à une réception au palais Royal, (maintenant Palais National) avait rencontré Natalie Lowinska. Dès la première rencontre, il s’en était épris, follement, passionnément. Cet amour était devenu, avec les jours, si violent qu’il en souffrait, même physiquement. C’était la première femme, qui dans sa vie, prenait une telle emprise. Il avait eu plusieurs aventures sans lendemain ; obtenu dans les salons des succès faciles, fait des conquêtes plus difficiles. Toutes, jusqu’à présent, n’avaient signifié pour lui, que la satisfaction d’un caprice. Il n’avait jamais aimé. Et voilà que la seule femme qu’il convoite et qu’il désire avec toute la force de son âme et de son cœur ne peut légalement lui appartenir.

Il en conçut une haine inextinguible contre von Buelow et en lui-même décréta sa mort.

Rien ne parut au dehors de ce qui le ravageait au dedans. Car cet amour le brûlait. Quand il apercevait Natalie, c’était du feu liquide qui coulait dans ses artères au lieu de sang. Son cœur battait comme un marteau sur une enclume, et il lui fallait un effort violent de tout son être, pour que rien, dans sa figure, ni dans sa voix, ne trahisse ses sentiments.

Devant le mari, il se montra plus aimable qu’autrefois, manœuvra habilement pour se faire inviter chez lui, dans la tranquille intimité de la demeure conjugale.

À Natalie, il n’avait rien confié de ses sentiments pour elle. Peut-être sur-