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ŒIL POUR ŒIL

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rut vers elle, lui saisit le poignet, et se penchant vers son visage, si près qu’il apercevait la douceur de son haleine…

— Vous êtes à moi ! vous êtes à moi… Inutile de vous débattre…

Il ne savait plus ce qu’il disait… ce qu’il faisait.

Les tempes lui battaient ; sa gorge se serraient…

Il l’enserra et écrasa sur ses lèvres qui ne se desserrèrent pas ses lèvres frémissantes de désir… un mouvement brusque… Elle se dégagea.

Un coup de feu. Howinstein grimaça… porta la main à son épaule… un bruit rapide de pas… une porte qui s’ouvre… un ronronnement de moteur… Natalie se retrouve sur la grand route ne sachant plus si elle a rêvé ou si l’heure qu’elle vient de vivre est réelle… Un voile est devant ses yeux… un voile est devant sa mémoire… Au travers de ce voile, elle distingue seulement la notion vague d’un danger pour Herman.

De retour chez elle, elle doit s’aliter. La fièvre la dévore…

Elle commande qu’on télégraphie immédiatement à son mari de venir… Les émotions l’ont brisées… Elle n’a plus de force… plus d’énergie et n’espère qu’en la présence chère pour la ranimer.


XII


Ce n’était pas la douleur qui faisait monter aux yeux de Luther Howinstein, la bouée humide des larmes, mais l’humiliation, mais la rage, mais la passion, une passion d’autant plus grande que les obstacles à la satisfaire étaient insurmontables.

Décidé à tout entreprendre pour conquérir cette femme de gré ou de force, voilà qu’il s’était fait rouler par elle, au moment même qu’il croyait la tenir, prise solidement dans ses lacs.

Il s’en voulait d’avoir bêtement dévoilé les circonstances par où von Buelow devait périr. Cela parce qu’une créature gracile et jolie avait fait mine de s’intéresser à lui, cela parce que naïvement comme un écolier, il s’était oublié au point de glisser dans une sentimentalité indigne de lui.

Il manda un médecin. Heureusement la blessure n’était pas grave. La balle n’avait fait qu’effleuré l’épaule. Un pouce de plus, il avait l’épaule brisé. Quelques jours d’inaction, et ensuite il pourrait reprendre son travail.

Quelques jours ! Pour lui, à les regarder à l’avance, ils lui paraissaient des siècles. Chaque minute comptaient dans la course au pouvoir dont il était l’un des concurrents. Quel handicap !

De penser que le coup lui venait d’une faible femme, lui venait de Natalie Lowinska, le transportait hors de lui. Il avait des accès de rage durant lesquels, impitoyablement, il brisait ce qu’il se trouvaient sur son passage. L’amour intense qu’il portait en lui, se muait insensiblement en haine. Haine qui n’était au fond que de l’amour. L’amour et la haine sont souvent une seule et même chose… Il désirait se venger, non pas d’une façon banale pour la seule satisfaction de se venger, mais en amenant Natalie à ses pieds, en la faisant souffrir, en la torturant, en lui brisant le cœur…

Surtout, il fallait pour que sa vengeance fût complète qu’elle sache que tous les malheurs qui fondront sur elle, viennent de lui, de lui seul ; qu’elle soit forcée de penser à lui, et que cela devienne une obsession.

De même il la possédera, il possédera ses pensées, et jusqu’à son cœur, puisque chacun de ses battements sera activé par la crainte.

Quant à von Buelow, il luttera dorénavant avec lui, en face. Il ne le craignait pas. Qui donc craignait-il… Qu’il puisse seulement poser sur son épaule sa main large et lourde et l’officier des dragons du Roi, s’agenouillera sur le sol devant lui, ployé sous la douleur.

Il enveloppa dans sa haine toute la classe dirigeante de l’Uranie, qu’il se jura de tenir sous son sceptre. Il se savait de l’emprise dans les clubs politiques ouvriers ; il contrôlait avec une vaste organisation politique, plusieurs compagnies financières qui lui fournissaient les