Page:Paquin - Œil pour œil, 1931.djvu/45

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
43
ŒIL POUR ŒIL

 Les corrections sont expliquées en page de discussion

moyens financiers de réaliser ses rêves…

Toutefois, il ne voulait pas frapper immédiatement. Il voulait doser sa vengeance, savamment, pour qu’elle soit plus savoureuse à son cœur.

Natalie avait un frère, un frère jeune enthousiaste, qu’il pourrait faire circonvenir…

Par lui, il commencera. Ensuite von Buelow. Ensuite Natalie…

Tout en détruisant von Buelow c’était à sa propre destinée qu’il travaillait.


XIII


Quand Herman revint, le soir même de la réception du télégramme, il trouve sa femme alitée encore sous le coup de l’émotion.

Dès qu’il fut près d’elle, elle se jeta dans ses bras, sanglota, puis lui conta tout, jusque dans les moindres détails, de sa visite de l’après-midi.

Herman ne dit pas un mot. Mais ses poings se crispèrent, et ses yeux fixes semblaient défier un avenir invisible.

Il flaira le malheur possible. D’Howinstein, il pouvait s’attendre à tout. Tous les moyens étaient bons pour lui, la violence, la ruse, la perfidie. Il savait pertinemment qu’il ne reculerait devant rien pour assouvir et son amour et sa vengeance. Il fit garder sa maison, et ne sortit plus lui-même qu’accompagné par des agents secrets avec mission de veiller sur sa personne.

Il jugea qu’il était temps de brusquer les événements.

Déjà des soulèvements partiels, dont il soupçonnait l’origine, agitait les provinces uraniennes.

Les troubles de l’année précédente allaient-ils recommencer ? Il fallait à tout prix les prévenir. Déjà trop de sang versé avait appauvri l’organisme de la nation.

Il projeta donc le coup d’État du 19 septembre 19… qui plaça à la tête du pouvoir un groupe de ses créatures. Lui-même, dans le nouveau cabinet, se nomma ministre des « affaires étrangères » en attendant de prendre entre ses mains, à l’instar des Lewine et des Mussolini, la dictature officielle.

Le peuple, débarrassé du roi, demandait un nouveau maître. Ce maître, il le serait…

La pensée lui vint de chasser du pays Luther Howinstein ; cauteleux ce dernier n’agissait pas au grand jour. Il était bien le grand maître d’une société secrète influente… Seuls, les initiés le savaient. L’exiler ! C’étaient lui donner figure de martyr, lui créer en l’auréolant de la couronne du bannissement et de la persécution une popularité nouvelle, des partisans nouveaux…

D’ailleurs von Buelow attendait son rétablissement pour le provoquer en duel, le tuer, l’abattre comme un chien…

Il comptait sans l’habilité consommée de son adversaire…

Le duel eut lieu un matin d’octobre, au même endroit où peu d’années auparavant, il avait rencontré les prétendants de sa femme.

Au lieu d’être comme les autres, un duel d’opéra comique, celui-ci fut la rencontre de deux êtres qui se détestaient mutuellement et qui considéraient l’univers trop petit pour les contenir l’un l’autre.

C’était un matin, froid, triste, brumeux.

Von Buelow tira le premier. Soit nervosité, soit qu’il eût mal pris ses mesures, il rata son coup. La balle siffla à la tempe d’Howinstein, mais sans l’atteindre. Celui-ci eut un ricanement amer… Il palpa son épaule où la plaie cicatrisée lui causait encore une faible douleur. Il n’essaya pas de tuer son ennemi. Une mort rapide était trop belle pour lui. Où serait la jouissance morbide qu’il se promettait de sa vengeance…

« Œil pour œil » blessure physique pour blessure physique, soit mais par contre souffrance morale pour souffrance morale.

Il tendit l’arme à bout de bras, visa soigneusement. La détonation déchira l’air. Von Buelow tomba face en avant. On le crut mort quand Howinstein s’a-