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ŒIL POUR ŒIL

vengeance implacable ; empoisonnement, assassinat, la mort toujours. Le grand maître en était Luther Howinstein.

Le premier coup qu’il décida de frapper, fut dans la famille de von Buelow. Natalie avait un frère. Le circonvenir, l’enrôler dans les rangs des Travailleurs, le compromettre dans un complot politique, fut l’affaire de quelques semaines.

Luther Howinstein la réussit. Lowinski fut arrêté, traduit devant le tribunal, condamné à être fusillé. Un seul homme pouvait le sauver : son beau-frère.

Il le pouvait, et ne le pouvait pas. Le précédent était trop dangereux. Et puis, Lowinski, trouvé en possession de papiers compromettants, arrêté après avoir fait feu sur un agent, n’avait absolument rien dit de l’accusation portée contre lui. Il comprit, mais après coup, qu’il n’était, entre les mains… de qui ? il ne le savait pas, qu’une victime désignée d’avance, que l’objet d’une vengeance personnelle dirigée contre le ministre des affaires étrangères.

Une foule considérable se pressait dans l’enceinte de la salle des procès. La personnalité de l’accusé, la gravité des faits et des accusations portées contre lui, avait passionné l’opinion publique.

Trois juges, solennels et tragiques dans leurs toges noires, prononcèrent à l’unanimité la peine de mort.

L’accusé pâlit ; ses lèvres s’étirèrent en une grimace et ses deux mains se crispèrent, nerveuses, sur la barre.

La figure protégée d’une voilette, Madame von Buelow tourna la tête vers son frère. Deux larmes descendirent lentement le long des joues. Elle serra le bras d’Herman et se penchant vers son oreille.

— Tu peux le sauver, il est encore temps.

Il ne répondit rien ; mais sa gorge se sécha et sur son front une sueur moite perla.

Un silence lugubre régnait dans l’auditoire. Les regards allaient vers le condamné et vers le ministre. On épiait ses gestes, ses impressions. On pronostiquait sa ligne de conduite.

Allait-il intervenir ?

Devant tous ces regards braqués sur lui, Herman von Buelow se contraignit.

Ses traits demeurèrent figés dans une sorte d’impassibilité tragique.

Lui aussi soupçonnait un coup monté, un traquenard, un piège. Il ne soupçonnait pas seulement, il savait…

Le président leva la séance. La foule évacua la salle…

Von Buelow laissant Natalie en tête-à-tête, (le dernier) avec son frère, se dirigea immédiatement vers le palais gouvernemental et là, exigea du président du conseil un ordre de déportation immédiate contre Luther Howinstein, commanda à quelques agents de conduire l’ancien chef de la gauche vers la frontière, et ce à la minute même. Le prétexte ? L’ordre social, la sécurité du pays, la paix à l’intérieur.

Qu’importe ce que ses amis diraient !

Qu’importent les protestations.

Le ministre était décidé à agir. Puisqu’il fallait aux affaires une poigne de fer, il se montrerait dorénavant implacable et inflexible.

Le retour à leur demeure fut triste, bien triste pour les époux von Buelow. La mort prochaine d’un des leurs planait au-dessus d’eux.

Natalie n’essaya pas de fléchir son mari. Le moment n’était pas choisi. Elle remarquait, dans le regard, une fixité étrange…

Une fois, il prit entre la sienne sa main frêle et la serra longuement.

— Natalie, dit-il

Il s’arrêta là. Mais dans l’intonation il y avait tout un monde de pensées et de sentiments, qu’elle devina comme elle devinait ce qui se passait dans l’âme et dans le cœur de l’homme dont elle portait le nom.

— Herman, se décida-t-elle. Ne feras-tu rien pour lui.

Il la regarda avec des yeux qui disaient toute sa détresse et qui la bouleversèrent.