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ŒIL POUR ŒIL

vançant vers ceux qui le soutenaient après l’avoir relevé, enleva son chapeau, salua gravement, et ricana à l’oreille du blessé qui commençaient d’ouvrir les yeux…

« Œil pour œil » blessure pour blessure. Vous présenterez mes hommages à Madame Natalie. Quant à vous, monsieur qui avez le tort d’être aimé d’elle, j’espère que nous aurons le plaisir de nous rencontrer. Si vous avez la réputation d’être un des meilleurs duellistes d’Uranie, vous constatez que vous avez rencontré votre maître.

Il salua gravement les témoins, laissant von Buelow, blême et ensanglanté, nourrir en lui-même des pensées d’impuissance et de rage…

Dorénavant les destinées de l’Uranie seront intimement liées aux destinées de ces deux hommes jusqu’au jour où le peuple fatigué de tant de changements successifs rappellera de l’exil le monarque dépossédé de Karl III

Von Buelow se fit panser, et sans plus s’occuper du mal physique, se rendit dès le lendemain même au Conseil des Ministres. Il avait le bras en écharpe et ses yeux noirs semblaient briller de fièvre dans sa figure pâlie par tout le sang versé.

Son apparition fut de courte durée. Il aida avec ses collègues à expédier les affaires de routine, et retourna chez lui pour quelques jours de repos. Son secrétaire l’accompagnait…

Le ministre de la guerre se trouvait le maréchal Junot qu’on ne soupçonnait pas encore d’appartenir au clan Howinstein. Ses états de service sous Albert Kemp, ses aptitudes militaires, jusqu’ici furent sa seule recommandation.

Le jour suivant von Buelow le fit venir chez lui en conférence particulière. La Boshvie s’agitait et semblait n’avoir pas renoncé à son intention de se repaître des dépouilles de l’Uranie. D’autres pays limitrophes, dans la crainte que la révolution n’ait chez eux des répercussions néfastes, faisaient garder les frontières…

Les menaces de guerre planaient et des nuages noirs qui n’attendaient que l’occasion de crever et de laisser pleuvoir la mitraille et le sang.

Les deux ministres conférèrent ensemble sur les moyens les plus efficaces pour sortir le pays de l’ornière.

Il fut décidé de faire le dénombrement des effectifs militaires, tant en hommes, qu’en munitions et en matériel de toutes sortes, de décréter une nouvelle levée en masse de la jeunesse en état de porter les armes, de les mobiliser à la frontière.

Dès que le ministre des affaires étrangères serait guéri de sa blessure dont nul ne soupçonnait la cause, il irait, par le pays, tenter de créer un renouveau de fierté nationale, soulever le patriotisme des gens par une série de manifestation et d’assemblées populaires. Le moral de la nation devait avoir besoin d’être remonté. Arracher du passé les faits glorieux de l’histoire de l’Uranie, les jeter palpitant de vie, comme un exemple à la foule, lui célébrer les vertus de la race, prôner la résistance aux infiltrations étrangères et créer le désir d’édifier sur tant de ruines et de sang une nation prospère, tel était le but que se proposait le ministre nouveau. Puis, une fois la situation éclaircie, il devait se hisser de par sa propre volonté, et avec l’aide de ses amis, au rang de maître souverain, de dictateur. Encore une fois, il comptait sans celui, qui dans l’ombre épiait ses moindres mouvements, prêt à se ruer sur lui, l’écraser et l’abattre. Entre le pouvoir absolu et Herman von Buelow se dressait Luther Howinstein, génie malfaisant des contes de fée, d’autant plus dangereux qu’il était servi par une intelligence et une force supérieures. Rusé, il ne se montrait pas au grand jour, et attendait avec patience le moment propice.

La « Société des Travailleurs Indépendants » était sans contredit la plus puissante du pays. Elle possédait des affiliations nombreuses au dehors et une organisation interne parfaite. Le secret le plus rigoureux empêchait que rien au dehors ne transpirât des délibérations. Trahir ce secret ; tenter seulement de le trahir, signifiait, à brève échéance, une