Page:Paquin - Jules Faubert, le roi du papier, 1923.djvu/104

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J’en ai la preuve. L’hiver dernier nous avons passé quinze jours ensemble, à la campagne, qui demeureront parmi les plus beaux que j’aurai vécus. De retour à Montréal, il s’est acharné à me fuir. Ce fut une peine très grande. Je m’imaginais un tas de choses qui me firent beaucoup souffrir. Toi seule peut-être t’en es aperçue au ton de mes lettres.

C’est la raison qui m’a fait lancer dans la vie mondaine, éperdument, je voulais m’étourdir, l’oublier. Il y a quelque temps, épuisé de cette lutte avec moi-même, m’ennuyant à mourir, j’ai voulu le revoir. Je l’ai relancé dans sa tanière, et j’ai bien vu pourquoi il me fuyait. Il m’aime Hortense, et il a peur de le laisser voir. Quand ses yeux gris se sont fixés sur moi, ils n’avaient pas leur dureté habituelle. J’ai vu sur tous ses traits une contraction de souffrance, de tendresse, puis de haine, et enfin, malgré lui, d’admiration. Je suivais le travail de ses pensées. Son orgueil a pris le dessus. Son visage est redevenu impassible. Que m’importait ! Je savais ce que je voulais savoir. Il me fuit parce qu’il a peur de moi.

J’ai décidé de changer de tactique. Je te demande ton opinion. Qu’en penses-tu. J’ai toujours eu confiance dans ton clair bon sens. Je vais l’inviter prochainement chez moi. Dans l’état actuel de son âme, je suis sûre qu’il va accepter. Je veux le rendre jaloux pour le forcer à s’avouer ses propres sentiments. J’attends ton avis là dessus.