Page:Paquin - Jules Faubert, le roi du papier, 1923.djvu/19

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— Mademoiselle elle est une exception. Il y en a mais elles prouvent la règle.

Cette fois elle a envie de le gifler. Tant de froideur l’agace. Malgré tout, elle est piquée au jeu. Où veut-elle en venir ? Elle l’ignore.

Elle n’avait pas oublié Jules. L’absence, et aussi cette sensation d’irréparable que son obstination à ne plus la voir lui causait, avait bien atténué, un peu, la force de son amour : il n’était pas complètement disparu.

Arriverait un jour où il se réveillerait peut-être plus violent, comme ces petits feux qui courent sous la mousse, qu’on croit éteints, et qui, au moindre vent, peuvent embraser des forêts.

Elle avait redouté et souhaité en même temps de le revoir.

La rencontre inopinée qu’elle vient de faire, la supériorité de l’autre, dans son attitude correcte, sa maîtrise de lui-même, le contrôle qu’il a sur tous ses nerfs la troublent étrangement.

Depuis tantôt, rapidement, en son cerveau de femme, passent une série d’interrogations. L’aime-t-elle encore, et suffisamment, avec assez de puissance pour lutter jusqu’à briser sa froideur et amener sur ses lèvres au lieu de ce plissement de dédain, un frémissement de ferveur ?

Perplexe, elle ne trouve pas de réponse.

Elle regarde, chacun son tour, le fiancé d’autrefois et celui d’aujourd’hui.

Le premier est moins joli, mais quelle énergie dans ses traits irréguliers, quelle vie secrète concentrée dans ce regard gris fer.