Page:Paquin - Jules Faubert, le roi du papier, 1923.djvu/23

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Après tout, ce sera mieux qu’il en soit ainsi.


De son bureau, rue Saint Jacques, 97 pour être précis, à sa pension rue Saint Denis, il n’y a que quelques minutes de trajet. Joyeux de penser que sous peu sa vie prendra une orientation nouvelle, Henri Roberge se rend chez lui. Au milieu de la foule, qui, à six heures, grouille par les rues, il va, sans y porter attention, superbement isolé dans son bonheur.

Sur la table où chaque jour Mme Beaudry dépose le courrier une lettre traîne à son adresse. À l’écriture il se rend compte que c’est d’Elle et il en éprouve un bonheur immense.

Posément il brise le cachet et palpe le papier comme s’il gardait encore la douceur des mains qui l’ont touchée.

Hélas lui qui regarde la vie sans avoir peur parce que le mirage d’un amour partagé le soutient dans sa course vers la mort ; lui qui trouve un charme aux choses qui n’en ont point ; lui qui est heureux, pleinement heureux et qui l’est parce qu’il aime, ne sera plus tantôt, quand il aura lu cette lettre, qu’une loque humaine abimée dans un fauteuil, souffrant sans réconfort, et cela parce qu’il a aimé, surtout parce qu’il aime encore.

L’écriture, nette d’abord, lui devient indistincte ; les lettres chevauchent les unes par dessus les autres ; les mots courent ; ils dansent une danse endiablée et le narguent, sournois, moqueurs, cruels.