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LA CITÉ DANS LES FERS

Il présage d’autres représailles. Il se peut que l’on essaie de nous écraser d’avantage pour avoir raison de nous.

— Et si tel est le cas, que ferez-vous ?

— Ce que nous ferons ? Nous avons discuté la chose à fond, Boivin et moi, ces jours-ci : LE COUP D’ÉTAT.

Le vieux Riverin eut un éclair dans le regard. Le sang des soldats de la fortune qu’il portait en lui bouillonnait dans ses veines. Il envia le sort de ces deux hommes prêts à s’aventurer dans une équipée héroïque.

Il se leva et demeura quelques secondes sans parler. Sa célérité de jugement lui fit flairer dans les circonstances une chance de succès.

Une idée lui germa dans le cerveau qui réveilla sa vanité d’homme d’affaires et cette idée lui sourit d’autant plus que de prime-abord elle lui parut un peu folle.

Malgré ses cinquante-huit ans, il aimait l’action. C’est ce désir d’action qui, à certaines heures, lui faisait trouver fade sa vie de financier heureux surtout depuis que le nombre considérable de millions qu’il possédait avait atténué chez lui le désir du gain. Une belle partie allait se jouer, une partie plus excitante encore que celles qu’il avait gagnées jusqu’ici.

Y entrerait-il ?

Son instinct de joueur le fit frissonner à la pensée de beaux risques à courir.

Il se rassit et s’adressant à ses deux interlocuteurs qu’il tint sous l’ardeur de sa prunelle :

— Quels sont vos moyens de réussite ?

— Notre organisation.

— Aurez-vous des soldats pour combattre ? Aurez-vous des fidèles prêts à donner leur vie ?

— Nous en aurons.

Il se fit un silence. Le financier tira quelques bouffées de son cigare dont il renvoya la fumée lentement entre ses lèvres presque closes. De la main gauche, il caressa les pointes de sa moustache.

— Monsieur Bertrand, vous m’avez témoigné beaucoup de confiance en me faisant part de vos projets. Aurez-vous assez de confiance en moi pour m’associer à votre œuvre ?

Bertrand et Boivin se regardèrent.

— Vous voulez dire ?…

— Qu’au cas échéant, je mettrais une partie de ma fortune à votre disposition. Les meilleurs soldats sont les dollars. J’en ai des millions. Les accepteriez-vous ?…

Pour toute réponse le Chef National lui serra la main.

— Si vous réussissez, qu’entendez-vous faire ?

— Une république Laurentienne groupant l’élément Français de l’Est.

— Je serai votre banquier. J’aurai l’illusion de trouver une patrie ancienne. Est-ce l’atavisme ? Je ne sais pas. Il existe un fait indéniable. Je me sens chez nous ici. Contribuer au succès de votre cause et demeurer attaché à l’œuvre édifiée, c’est un rêve qui m’enchante. Je vous prêterai l’argent nécessaire et que vous aurez de la difficulté à trouver ailleurs, au taux minime de 6% garanti par débentures. Est-ce conclu ?

Le chasseur frappa à la porte.

— M. Riverin, votre train part dans 20 minutes.

— C’est bien ! Appelez un taxi… Et puis… vous acceptez.

— Nous acceptons.

— Quand vous aurez besoin de moi télégraphiez à New-York. Écrivez simplement : « Georges malade. Venez ». Je saurai ce que cela veut dire.

Le chasseur reparut.

— Le taxi vous attend.

Quelques heures plus tard, tandis que William C. Riverin retournait chez lui heureux d’un voyage dont les conséquences lui promettaient les émotions qui lui manquaient et qu’il recherchait, André Bertrand et Eusèbe Boivin retournaient à Montréal par le train de nuit.

La bataille prévue s’annonçait sous des auspices favorables. Il venait de trouver un appui nouveau dans la personne de cet américain qui mettait entre leurs mains le levier le plus formidable des temps modernes.


X

LE CHEF


L’énergie était la qualité dominante d’André Bertrand. Il savait vouloir. Et quand il voulait quelque chose, il savait prendre les moyens pour arriver à ses fins.

Caractère cassant et violent, il avait su se maîtriser.

Orgueilleux, il ne doutait jamais de lui-même. Ce sentiment humain, la peur, lui était inconnu. En face de l’avenir, des évènements et des hommes, il n’avait jamais eu peur.

Son physique avantageux et sa force her-