Le flic — c’en était un — suivait Duval de loin.
Quand il eut disparu, Gendron retourna au numéro 418. Il enleva une brique à la muraille, appuya deux fois, puis quatre fois sur la sonnette dérobée.
La porte s’ouvrit.
Il pénétra dans une espèce de salon bourgeois, où se trouvaient réunis quelques personnes.
Il fit un signe à l’une d’elles, qui le conduisit peu après dans un couloir.
Au fond de ce couloir, il y avait une porte.
Il tourna une fois puis trois fois la poignée de gauche à droite. D’elle-même la porte s’ouvrit sur un vestibule ; un judas était pratiqué du côté gauche du mur.
— Qui va là ? fit une voix.
— « Je suis un chien qui ronge l’os » répondit-il. Un pan de la muraille pivota sur lui-même et Gendron s’y engageant, se trouva dans la salle des délibérations du « Chien d’Or » le quartier général de la réaction.
Toutes ces précautions étaient nécessaires. Après le coup de théâtre d’Ottawa, on pouvait s’attendre à tout. Le chef de police Barnabé, la créature du Régime, et qui, en plus, avait des raisons particulières d’en vouloir à Bertrand, se doutait de quelque chose.
Au milieu de la salle, pour tout ameublement, se trouvait une vaste table circulaire en noyer noir. Une trentaine de personnes étaient assises autour. Sur la table des revolvers chargés s’étalaient au cas d’une surprise.
— Vous êtes en retard, Gendron, lui dit Boivin.
— J’ai dû attendre Duval. Vous savez qu’il est suivi. Je lui ai donné les nouvelles que vous voudriez voir publiées.
— Par qui savez-vous qu’il est suivi ?
— Par le général Williams lui-même que je suis allé interviewer ce matin. On me croit blanc comme neige dans cette affaire et cela me permet, sous prétexte de renseigner le public d’avoir mes petites entrées un peu partout. Tout en questionnant le général j’ai adroitement subtilisé une feuille de papier sur sa table. Elle contenait le nom de personnes suspectes de faire partie de notre société. Ils sont tous sur leurs gardes.
— Par qui Williams est-il renseigné ? demanda Bertrand.
— C’est ce que je n’ai pas encore su. Je ne crois pas que ce soit par l’un de nos adeptes. Il agit un peu au hasard. Cette liste lui venait d’Ottawa.
— Nous éclaircirons ce point plus tard résuma Boivin. La soirée avance et nous avons un ordre du jour plutôt chargé. De ce soir, continua-t-il, l’offensive est commencée. Nous décrétons que l’est Canadien, — les provinces maritimes et la province de Québec, — se sépare de la Confédération et se forme en république. Dans quelques semaines nous le proclamerons officiellement. Nous avons offert la présidence à André Bertrand qui a choisi les membres de son cabinet. Il nous faut agir sans tâtonnements. Le procédé n’est peut-être pas très démocratique de former un ministère en petit comité. Nous n’avons pas le choix des moyens. Il est nécessaire que le peuple sache à quel maître obéir. Monsieur Bertrand va nous dire quels sont ceux qui font partie du gouvernement provisoire.
— Dans l’occurrence, le ministère le plus important est celui de la guerre ou comme on voudra mieux l’appeler celui de la Défense Nationale. J’ai cru que la nomination d’Eusèbe Boivin à ce poste sera bien accueilli. En plus d’être un ouvrier de la première heure il a l’expérience de l’organisation militaire. Jules Pagé, le courtier en obligations, aura les Finances ; Charles Picard, la Justice ; Louis Gendron, l’Instruction Publique ; Julien Lambert, les Postes ; Henri Beaudin, les Chemins de Fer et la Marine.
Il donna la liste complète.
Unanimement elle fut ratifiée.
— Nous recevrons, ces jours-ci, des États-Unis, via Lacolle, où nous avons acheté les douaniers, soixante-cinq mille fusils avec des munitions ; 20 mitrailleuses et 50 obusiers. Ce sera pour les débuts. Toutes les gardes indépendantes sont prêtes à marcher. Elles se sont mises au service de Boivin qui retourne à son ancienne carrière, et, à qui ce soir, je confère le grade de généralissime. Le 24e régiment, le régiment de Chambly, son ancien régiment, est gagné à notre cause, ainsi que le 143e de Québec. Parmi les officiers de la garnison, tous les Canadiens-Français ont prêté le serment d’allégeance au Nouveau Régime. J’ai besoin de trois hommes pour Québec, Trois-Rivières et Hull. Qui veut se charger de prendre la haute main de l’organisation locale de ces différentes villes ?
Presque tous offrirent leurs concours.
Il choisit Arsène Dupré comme gouverneur de Hull.
— Je ne vous cache pas, Dupré, que vous avez le poste le plus délicat comme le plus périlleux. Agissez avec prudence. À la première occasion vous recevrez tout ce qu’il faut au cas d’émeute.
Le poste de gouverneur de Québec échut