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LA CITÉ DANS LES FERS

— « La Gloire étend sur vous son manteau de vermeil…

— « Lutter avec l’énergie farouche des causes saintes. Voilà votre mot d’ordre.

— « Citoyens et soldats la République vous remet le salut que tout à l’heure vous lui avez donné. »

Les porte-drapeaux s’avancèrent près du président… Les étendards s’inclinèrent et le R. P. Joseph Paradis les bénit.

Les corps de musique réunis formant un ensemble de près de 400 exécutants jouèrent le « Ô Canada ».

La foule se découvrit, les militaires présentèrent les armes.

Et solennelles, les notes montèrent, pendant que là-bas, par delà le cordon des soldats, on entendait chanter ces paroles de foi et de courage.


XVII

LE PÈLERINAGE CHEZ LES ANCÊTRES


Les morts parlent ! De leurs tombeaux ils s’élèvent des voix qui pour être muettes, n’en pénètrent pas moins jusqu’au fond de l’âme. Les morts parlent, ce que je ne sais quoi de mystérieux qui gît au fond de nous, qui nous étonne parfois, et qui fait qu’à certains jours nous nous retrouvions avec des pensées et des impulsions dont nous ignorons la provenance.

Depuis longtemps André Bertrand projetait d’accomplir un pèlerinage chez ses ancêtres. Il voulait en se recueillant devant les quelques pieds de terre qui les recouvrent puiser les leçons de courage, d’énergie et de persévérance dont il avait besoin.

Plus que jamais, l’idée s’implanta en lui, impérieuse de leur rendre visite. Fier de son passé, ayant conscience d’avoir accompli son devoir, il était sûr que ceux de qui il tenait la vie, frémiraient d’orgueil dans leur tombe. Le fils n’avait pas renié tout un passé de labeurs obscurs mais féconds, et les ascendants pouvaient voir dans sa montée vers les Sommets l’apothéose de leurs efforts soutenus.

D’autres causes attiraient André Bertrand vers Sainte-Geneviève. C’était là, dans ce coin de pays aux mâles beautés, que son cœur s’était ouvert pour la première fois. Là en face du couchant, un soir de mai, il avait compris le sens de la Vie et son épanouissement en poésie et en beauté par l’amour.

Il voulait refaire le trajet qu’il avait fait ce soir-là, s’imprégner les yeux du paysage pour retrouver dans sa pureté première, l’émotion qui avait fait vibrer son être.

La journée est magnifique, le soleil fastueux. Il se prodigue à toute la Création. Amoureusement il embrasse les êtres et les choses qu’il recouvre de sa magie.

Après avoir expédié la besogne du jour, le Président sauta dans son auto et se rendit chemin du Belvédère à la résidence de Vincent Gaudry.

Ce pèlerinage, il ne voulait pas l’accomplir seul. Dans les heures de fièvre qu’il vivait, le désir de soulager son cœur de tout ce qui le comblait d’enthousiasme et de ferveur, avait crée en lui l’obsession de Lucille. Il voulait partager avec elle, toutes ses pensées ; depuis quelques jours il ne l’avait vue, absorbé par le travail énorme qu’il avait dû accomplir. Maintenant qu’il s’accordait cette journée d’accalmie, il la voulait revoir et s’épancher entièrement et sans réserve avec elle. Il était sûr qu’elle le comprendrait, il était sûr que chaque battement de son cœur trouverait un écho en elle. Il songeait à la douceur de lui conter en franchissant la montée Saint-Charles, que là, pour la première fois, il l’avait aperçue, et en longeant le bord de la rivière, de lui dire qu’au cours d’une promenade à ces endroits, il avait eu la révélation de son amour.

Lucille accepta l’invitation, heureuse de l’avoir à elle, rien qu’à elle, pour cette journée.

Elle s’ennuyait depuis quelques jours. Elle avait beau essayer de se distraire, rien ne parvenait à chasser le spleen qui la possédait.

Elle avait peur que, pris tout entier par sa besogne auguste, il ne vienne à l’oublier. Elle tremblait aussi pour lui, des dangers qu’il courrait. Depuis le jour où, piétinant son orgueil, elle lui avait avoué le sentiment qui l’attirait vers lui, elle s’était abandonnée à la douceur d’aimer.

Lui l’aimait pour elle, rien que pour elle. Non pour son argent, non pour sa situation.

Lui c’était l’Homme, celui qu’elle avait toujours rêvé, un mâle, un lutteur, un énergique, un homme au vrai sens du mot, et qui comme tel, avait aussi la faiblesse d’être tendre, tendresse qui est plutôt une force.

Elle pensait à lui toujours, toutes les heures, toutes les minutes. Le soir elle dévorait les journaux pour y lire ses faits et gestes. Elle éprouvait une sensation légitime de fierté en songeant que cet homme fort s’était penché vers elle, que c’était elle qu’il avait choisi d’entre des milliers de femmes.