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LA CITÉ DANS LES FERS

Le greffier lut l’acte et posa la question :

— « Coupable ou non coupable » ?

— Non coupable.

— Désirez-vous un procès expéditif ou par jury ?

— Expéditif.

— Avez-vous des témoins à faire entendre ? demanda-t-il alors au substitut du Procureur.

Il n’y avait qu’un seul témoin à charge : Donald Ferguson. Les autres avaient négligé ou refusé de se présenter devant le tribunal.

Ferguson avait entendu dire par quelqu’un, un nommé Flibotte qu’André Bertrand était à la tête d’une vaste conspiration dont le but inavoué était de faire main-basse sur les dépôts d’argent dans les banques, et de s’emparer de l’administration des chemins de fer d’État.

L’avocat de Bertrand se leva pour le contre interroger. Mais avant même qu’il eut parlé, un avocat, dans l’audience se leva, qui n’était pas intéressé dans la cause, et s’adressant au juge :

— Votre honneur, je n’accepterais pas le témoignage de cet homme, même sous serment.

Un autre à son tour se leva qui fit la même remarque puis un troisième.

— C’est bien, y a-t-il d’autres témoins.

— Flibotte, appela le greffier.

— Flibotte, répéta l’huissier de sa voix pâteuse.

Flibotte ne parût pas.

— Dufort.

— Dufort.

Pas plus que Flibotte, ce dernier ne répondit à l’appel de son nom.

Le substitut du Procureur se leva.

— Je dois déclarer à la Cour que vu l’absence de ces deux témoins je n’ai aucune preuve contre l’accusé.

Je demande donc sa mise en liberté et le renvoi de la plainte.


III

CHERCHEZ LA FEMME


« Dans toutes les catastrophes, dit la Sagesse des Nations cherchez la femme ». C’est ce que se dit André Bertrand dès qu’il eut franchi l’enceinte du tribunal.

Ayant lu dans sa jeune enfance quelques récits de Conan Doyle où se trouvent magnifiés les exploits de Sherlock Holmes, il en avait conclu que, pour déchiffrer des problèmes de prime-abord inextricables, la méthode déductive est la plus infaillible.

La visite des détectives, chez lui, la veille, l’avait surpris et intrigué.

Comment ? par qui ? avait-on pu découvrir ses menées secrètes ?

C’est ce qu’il s’agissait de connaître pour sortir du filet que la police avait étendu autour de lui. Il lui fallait, du moins pour quelques heures, avoir ses coudées franches et sa pleine liberté d’action.

Grâce à son merveilleux sang-froid, il avait réussi par l’interversion des rôles, c’est-à-dire par la capture de ceux qui le venait capturer, à briser la première maille.

Les détectives expédiés à destination, il se rendit chez l’un de ses principaux lieutenants, Mtre. Boivin. Il lui conta l’affaire, comme quoi on l’avait trahi, que demain il serait traîné devant les tribunaux.

— Tout ce que j’ai pu savoir jusqu’ici c’est que Donald Ferguson a déposé contre moi. Mais qui l’a renseigné ? Boivin ne savait pas. Il lui demanda alors de faire renvoyer la plainte par n’importe quels moyens, sauta dans un taxi et se fit conduire chez différents adeptes de la société dont il était le chef.

Il apprit finalement que souvent Flibotte s’était trouvé en compagnie de Ferguson, que, depuis quelques jours sa conduite paraissait louche ainsi que celle de Dufort.

Il vit à les faire disparaître de Montréal, pour un temps indéterminé, prit une chambre pour la nuit dans le premier hôtel qu’il trouva sur sa route, et dormit profondément, sans aucune inquiétude sur l’issue de son procès.

On l’a vendu à Ferguson.

Pourquoi ce dernier a-t-il acheté le droit de le dénoncer aux Autorités Compétentes.

Oui ! Pourquoi ?

Après avoir pesé les différents motifs d’une telle action il en vint à la conclusion qu’au fond de toute l’affaire se trouvait une femme.

Dans ce temps-là, au théâtre Renaissance, bâti depuis six mois à peine, rue Sherbrooke, jouait une troupe d’artistes de grande renommée, engagés à prix d’or par un mécène et provenant des meilleurs théâtres de France.

La grande vedette féminine, Yvette Gernal, était une personne d’une rare beauté dans toute la fleur de sa jeunesse — 28 ans — et que Bertrand avait connue lors d’un dîner, les premiers temps de son arrivée au pays.

L’artiste, dès le début, s’était sentie attirée vers cet homme dont la personnalité cons-