Page:Paquin - La mystérieuse inconnue, 1929.djvu/15

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
13
la mystérieuse inconnue

dent, mais non le plus intéressant. Il jugea qu’une rixe comportait beaucoup plus de plaisir, d’autant plus qu’elle ferait de cette fin de journée quelque chose de moins monotone que les soirées précédentes où il avait dû s’enfermer dans des théâtres ou des cinémas, faute de mieux.

Il écarta d’un geste brusque la femme qui voulait s’agripper à lui pour le paralyser dans ses mouvements, et les poings serrés, se posa devant l’homme.

Celui-ci lui cria :

— Je va te montrer à t’occuper des affaires des autres. Ta m…… gueule je vais te la casser.

— C’est le temps de frapper, pensa Dumas.

Ses deux bras s’élevèrent et pendant que l’un de ses poings s’abattait sur la lèvre, l’autre atteignit l’œil… Une masse chancela et s’écrasa sur le trottoir inanimée.

La femme se précipita sur André Dumas pour le frapper. Il la maîtrisa en lui serrant les deux bras si fortement qu’elle cria :

— Lâchez-moi, vous me faites mal.

Puis elle se mit à pleurer convulsivement et se lamenta :

— Vous l’avez tué ! mon pauvre Charles, vous l’avez tué.

— Me voilà dans un beau pétrin, songea le jeune homme.

Mais il ne s’énerva pas outre mesure.

— Où demeurez-vous ? demanda-t-il…

— Ici, la maison d’en face.

— Tâchez d’être raisonnable. M’entendez-vous ? Allez ouvrir la porte.

Il chargea celui qu’on appelait Charles sur ses épaules, comme un sac de farine et le transporta dans sa chambre.

C’était une pièce assez grande, meublée d’un lit double, d’un sofa, et d’une table où gisait à moitié vide une bouteille de gin de cinq demiards. Aux murs des images de boxeurs et d’actrices de cinéma.

Il déposa son fardeau sur le sofa, lui enleva sa cravate et son faux-col, déboutonna la chemise. Il examina la tête pour voir si son adversaire ne s’était pas assommé en tombant ou si son crâne en donnant sur le trottoir ne s’était pas défoncé. Il n’y avait rien qu’une bosse légère. Ce n’était pas grave, heureusement.

— Apportez-moi de l’eau froide et une serviette. Servez lui un verre de gin.

Il bassina les tempes, lava la lèvre qui était fendue et constata qu’une dent était brisée…

L’œil gauche tuméfié était complètement fermé. Il y appliqua des compresses d’eau froide.

Au bout de quelques minutes, l’homme ouvrit le seul œil qui pouvait accomplir cette gymnastique. Il regarda autour de lui, vaguement et se souleva avec peine sur son séant.

Où était-il ?

La connaissance lui revenait graduellement.

Il passa la main sur sa lèvre. Le sang lui toucha la langue. Il grimaça.

— Qui m’a frappé comme ça ? s’enquit-il.

André Dumas répondit :

— C’est moi, et tu le méritais pour avoir battu ta femme…

— C’est toi, donne-moi la main, tu es un sacré bon homme. Tu fesses en maudit.

André Dumas s’apprêtait à partir, l’autre le retint.

— Écoute, tu vas prendre un coup avec nous autres. Je suis Charles Johnson, Mam’zelle Idola, ma blonde…

Dumas commençait à trouver l’aventure amusante. Il pénétrait subitement dans un milieu tout à fait nouveau pour lui. Il accepta la proposition, il enleva son paletot, ingurgita le verre de gin qu’on lui offrit et s’assit. Son intérêt commençait d’être piqué. Il flaira, dans ce couple bizarre, au milieu duquel il s’était introduit, un sujet intéressant d’observation. La force brutale exerce sur les esprits une fascination étrange. Comme certaines femmes s’attachent à celui qui les brutalise, il y a des hommes qui vouent à celui qui les domine et se montre supérieur à eux, un culte souvent capable des plus grands dévouements. Charles Johnson était de ceux-là, et puis, il y avait en lui un vieux fonds d’honnêteté qui lui fit admettre qu’il avait bien mérité la raclée reçue. D’autant plus que son vainqueur n’abusait pas de sa victoire et que dans ses gestes, comme dans sa manière d’agir, il faisait montre d’aucune insolence.

Remis de son émotion, la gueule un peu endolorie cependant, il commença de causer avec confiance. Le trou que faisait sa dent brisée lui donnait un curieux accent et changeait un peu le timbre de sa voix. Mademoiselle Idola trouva cela tellement drôle qu’elle ne put s’empêcher de sourire.

— Qu’est-ce que tu as à rire, veux-tu que je recommence ?

André profita du prétexte pour jouer au moralisateur. Il aurait ainsi un but pour les temps prochains qui rendraient ses journées moins monotones.

Il commença par s’informer des occupations