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la mystérieuse inconnue

VIII

Un matin, deux jours après la publication dans les journaux de l’article suggéré par Me Gosselin, André Dumas fut réveillé par la connerie du téléphone, il était dix heures et demie. Son avocat le mandait immédiatement au bureau, il avait quelques communications excessivement importantes à lui faire.

Le jeune millionnaire s’habilla et se rendit rue St-Jacques. Sur présentation de sa carte, la sténographe le fit immédiatement pénétrer dans le bureau de Me Gosselin. Celui-ci avait sa mine épanouie des bons jours.

— Mon ami, lui dit-il, vous êtes devenu un personnage célèbre du jour au lendemain.

— Et pour quelle action d’éclat ?

— Votre fortune.

— Et c’est pour me dire cela que vous me faites réveiller et appeler à votre bureau ! le beau mérite ! Se coucher Gros Jean et se réveiller un personnage parce qu’un oncle célibataire a la bonne idée de mourir en vous léguant ses millions ! Vous auriez pu vous dispenser de confier ces faits aux journaux…

— Cela ne vous nuit pas, loin de là ! Fiez-vous à mon expérience, il n’y a rien comme la publicité.

— Si cela ne m’a pas nui, par contre, cela m’ennuie beaucoup… Et votre communication ?

— Voilà, il est venu deux personnes pour vous voir et qui m’ont supplié de leur donner votre adresse.

— Vous avez acquiescé à leur demande, sans doute ?

— Du tout il me faut votre autorisation.

— Et quelles sont ces personnes ?

— Un jeune homme et une jeune fille. Le jeune homme, devant mon refus réitéré, a insisté et insisté. À la fin, voyant qu’il ne gagnait rien, il a proféré des menaces, me disant que coûte que coûte, il saurait bien vous trouver. Je crois qu’il y a du danger pour vous. Cet homme, je ne sais pour quelles raisons, semble vous en vouloir, je m’en suis rendu compte à l’expression de sa figure. Il y avait de la haine dans son regard, une haine concentrée.

— Vous pouvez lui dire où je demeure… S’il tient absolument à me rencontrer, je suis à sa disposition.

— Voilà, précisément, ce qu’il ne faut pas faire ! Pourquoi vous exposer inutilement au danger ?

— Vous avez peut-être raison… Passons à votre autre visite. Cette jeune fille ? Jeune ? vieille ? Jolie ? laide ? pauvre ? riche ?

— À ce que j’ai pu en juger par son accoutrement, plutôt pauvre, plutôt jolie que laide, plutôt jeune que vieille.

— Voilà qui devient intéressant. Vous a-t-elle donné son nom ?

— J’ai voulu le savoir, mais inutilement !

— Dans quel but désirait-elle me voir ?

— J’ai encore essayé de le savoir, mais inutilement.

— Elle y tenait beaucoup ?

— Énormément, elle doit revenir cet après-midi même.

— Ah bien, dites-lui que je l’attendrai demain… Et elle n’a pas voulu vous dire qui elle était ?

— Pour aucune considération. Elle a simplement répondu qu’elle était une inconnue pour vous et qu’elle entendait le demeurer.

On frappait à la porte, un client important et pour une affaire sérieuse désirait voir l’avocat immédiatement. André Dumas se leva et prit congé.

Cette visite chez son procureur dans le but unique d’apprendre où il demeurait ne manqua pas de l’intriguer. Qui était donc cette inconnue mystérieuse qui désirait si ardemment le voir ? Pas romanesque pour deux sous, il ne se laissa nullement emporter par le rêve, tout de fantaisie, qu’une telle insistance permettait de vivre. Il avait hâte, toutefois, de connaître cette jeune fille et de détruire le mystère dont elle s’entourait.

Quant à l’autre visite, elle le fit sourire. Un aventurier probablement, qui flairait en lui une proie facile. Il regretta presque d’avoir défendu qu’on donnât d’autres détails le concernant.

Depuis quelques jours un projet le hantait. À force de côtoyer une foule qui vivait sa vie frénétiquement, absorbé par les affaires, le goût lui était venu soudain de s’intéresser dans une entreprise qui demandait le déploiement de ses forces vives, Il était las de perdre son temps. Il voulait se lancer… faire sa trouée, surtout maintenant qu’il était riche à millions. L’ambition, soudain, venait d’entrer en lui. Il croyait, il considérait qu’un devoir impérieux s’imposait vis à vis de la collectivité et des siens, de faire valoir, profiter, fructifier sa fortune.

Et considérant que sa situation nouvelle lui créait des devoirs, il acquit la conviction que l’argent était créé pour circuler de mains en